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Mémoire, répétition, intégration phonétique

Le processus d’intégration phonétique des sonorités de la L2 demande du temps. il s’appuie sur le principe de répétition car il faut acquérir et automatiser de nouvelles habiletés. S’appuyer sur le fonctionnement de la mémoire constitue une aide précieuse tant pour l’enseignant que pour l’apprenant.

S’appuyer sur la mémoire de travail.

Certaines caractéristiques de la mémoire de travail présentent une utilité évidente dans le travail d’intégration phonétique.

Cette mémoire est souvent qualifiée de « phonétique » car elle est sensible aux formes acoustiques des items paroliers et non à leurs composantes sémantiques. Cette particularité justifie l’activité de l’enseignant qui agit sur la perception auditive de l’élève. Il s’efforce de lui permettre de mieux appréhender auditivement les stimuli constitutifs d’un son. Ceci suppose que l’apprenant construit progressivement une nouvelle représentation mentale du son en intégrant les stimuli auditifs pertinents et en éliminant ceux qui sont inadéquats. Le principe de la boucle phonologique mis en évidence par Baddeley va également dans ce sens. La boucle phonologique est une composante de la mémoire de travail transcrivant les informations sous forme phonologique, c’est-à-dire dans les termes du langage. L’existence de cette boucle a été démontrée par des travaux expérimentaux dans lesquels les sujets testés rappelaient mieux des séquences composées de mots courts que des séquences composées de mots longs. Ceci supposait l’existence d’une limite temporelle et la réminiscence dépendait de la durée d’une boucle articulatoire restituant les traces mnésiques en mots. Au terme d’études ultérieures, Baddeley établit que la boucle comprend un magasin phonologique qui est une structure passive percevant les stimuli langagiers. Ce magasin doit être réactivé par un élément actif, la structure articulatoire liée à la production d’éléments du langage, qui puise dans le magasin phonologique et assure la restitution.

La capacité limitée de stockage en mémoire de travail est également un indicateur précieux. Son empan mnésique, variable selon les sujets, est de l’ordre de 5 à 7 unités. Il a été démontré que les sujets sont davantage sensibles à des structures familières appelées chunks. -personnellement, j’emploie plus volontiers le terme regroupements-. Les diverses activités remédiatrices sollicitent ces éléments familiers déjà présents dans la mémoire permanente :

  • sons,
  • groupements syllabiques,
  • patrons rythmiques et mélodiques, etc.

L’objet du travail de correction phonétique est de faire percevoir les stimuli pertinents du signal de parole, qui se substituent progressivement à ceux que l’élève percevait et assimilait. L’obstacle étant qu’un stimulus perceptif portant sur une donnée déjà familière est porteur de peu d’information nouvelle et s’intègre avec une plus grande difficulté.

La mémoire de travail est évanescente, l’information sonore demeure disponible un très court instant, 2 secondes environ, puis elle se volatilise. Le travail de correction doit ne pas surcharger l’empan mnésique et respecter en même temps le caractère volatil de cette mémoire. Il convient de travailler sur des unités constituées d’un nombre d’unités (syllabes) ne dépassant pas 4 éléments. Une phrase doit être séquencée en ses groupes rythmiques successifs lors d’une activité portant sur la prosodie. On retrouve alors naturellement des unités rythmico-mélodiques de 2, 3 ou 4 syllabes. Ceci correspond aux données de la phonétique expérimentale : un individu perçoit et produit des unités contenant un groupement syllabique réduit en oral spontané. Lors d’un travail portant sur un son, il est préférable de travailler sur un seul groupe rythmique afin de mobiliser l’attention de l’élève sur la syllabe où le son pose problème.

Cette dernière constatation est confortée par le phénomène d’effet de récence, associé aux effets de primauté et de masquage auditif. Classiquement, des sujets invités à rappeler une liste de mots par la technique du rapport libre se souviennent mieux des mots situés en début et en fin de liste. Ceux qui sont situés en milieu de liste ne sont pratiquement jamais rappelés; ils sont « masqués » par l’item survenant juste après. Un phénomène analogue s’observe en correction phonétique. L’élève répétant un énoncé composé d’un nombre élevé de syllabes prononce souvent celles se trouvant à l’initiale et en finale. Selon les chercheurs, l’attention est davantage mobilisée en début de tâche.

  • Les premiers items reçoivent un traitement sémantique et sont alors disponibles en mémoire à long terme; ils sont rappelés plus aisément. C’est l’effet de primauté.
  • Au fur et à mesure du déroulement du message, chaque nouvelle unité tend à effacer l’unité précédente. C’est l’effet de masquage auditif qui préserve la capacité limitée de stockage de la mémoire de travail et garantit le traitement dynamique de l’information en cours pendant un instant.
  • Les derniers items sont rappelés plus facilement car ils sont encore disponibles dans cette mémoire. C’est l’effet de récence.

L’enseignant de phonétique corrective doit intégrer ces paramètres sur le fonctionnement normal de la mémoire de travail dans ses pratiques. Il évite ainsi de la surcharger et de gaspiller les ressources attentionnelles de l’apprenant. Il doit également considérer que les recherches sur l’effet de récence ont établi que son effacement était accéléré lorsque il était suivi d’une suite parolière, toute autre suite sonore ayant une incidence moindre sur sa disparition. Afin de ne pas détériorer l’effet de récence, le professeur doit inviter l’élève à répéter non pas verbalement mais en usant d’un geste.

Effets de primauté et de récence: probabilité de rappel des éléments en début et fin de liste plus élevée que celle des éléments situés au milieu.

La répétition, une activité indispensable.

Ce qui précède amène à poser le problème de la répétition en phonétique corrective. La répétition a été critiquée par les partisans des Approches Communicatives qui lui reprochent son côté trop artificiel, contraignant et démotivant. Le praticien considère qu’il s’agit d’une activité indispensable qui permet d’évaluer et de contrôler la performance des élèves. Les spécialistes des stratégies d’apprentissage en soulignent également la portée, notamment dans le domaine phonétique et pour la mémorisation de certaines formules ou structures ritualisées. Les psycholinguistes de même: savoir comment se prononce un son est une chose, pouvoir le produire en est une autre. La phonétique en L2 est une habileté. Les savoirs ne se transforment jamais en habiletés. Seul l’entraînement permet d’automatiser la production, donc de la transformer en une habileté (procédurale).

La répétition est une activité paradoxale. Elle suppose de réaliser la même action, alors que le principe de base de l’apprentissage est de provoquer des modifications dans le comportement de l’individu. La répétition en phonétique corrective consiste, soit à proposer à l’élève de remédier à une réalisation erronée grâce à des procédures spécifiques, soit à le mettre en présence d’items présentant des difficultés afin de les éradiquer progressivement par le biais de ces procédés de correction. Ce faisant, l’enseignant respecte certains principes permettant de construire une connaissance organisée de l’environnement sonore de l’apprenant.

  • Il fait effectuer une activité structurante dont l’objectif est d’amener à la mise en place de nouvelles représentations. Une trace mnésique ne devient positive que si elle se met en place sur un environnement déjà familier.
  • La tâche proposée est globalisante. Elle respecte toutes les dimensions intervenant dans la langue -prosodie, phonologie, morphologie, lexique, syntaxe, sémantique-. Il ne se produit pas la décomposition entre ces éléments inter corrélés que l’on perçoit dans une démarche de type sémasiologique. Cette démarche aide à l’élaboration d’hypothèses anticipatrices positives car elle favorise la découverte des régularités de l’environnement de l’autre langue. La répétition suivie éventuellement de correction est une aide décisive permettant à l’élève de mieux percevoir les caractéristiques sonores de la langue étudiée.

Dans une perspective psycholinguistique, le problème de la répétition d’items sonores se situe à plusieurs niveaux.

La répétition de maintenance, prise en charge par la mémoire de travail, ne fait que maintenir ou garder l’information sans la transformer en un code plus profond. C’est elle qui était communément pratiquée en laboratoire de langues et que l’on retrouve dans des activités proposées sur internet. Elle est rarement efficace car l’enseignant n’est souvent qu’un simple répétiteur jugeant simplement de l’adéquation de la performance de l’élève au modèle sonore proposé. Le labolangues est l’alibi classique des institutions incluant la phonétique corrective dans leurs programmes de formation sans se donner les moyens de confier ces activités à des professeurs spécialement formés.

La répétition active est caractérisée par la maintenance de l’information durant une brève période ou par l’intégration d’informations nouvelles aux anciennes, renforçant ainsi l’apprentissage. C’est celle qui est visée par le travail d’audition/répétition sous le contrôle de l’enseignant.

La répétition constructive est un processus permettant d’accroître la profondeur d’encodage des items. C’est d’elle dont dépend un apprentissage durable, en raison d’un encodage sémantique plus profond et plus élaboré. Des recherches doivent être menées dans cette voie, d’autant plus que l’enseignant se heurte à un problème qui n’a pas de solution actuellement. Il est fréquent que des apprenants parvenant à éradiquer leurs erreurs phonétiques quand ils sont contrôlés par le professeur retombent dans un système d’erreurs plus accentué quand ils s’expriment spontanément. Cette « double performance » -maximale sous contrôle vs moindre en production libre- constitue une impasse pédagogique frustrante. Les données actuelles ne permettent pas de mettre en place des « raccourcis » permettant d’accéder à la compétence optimale. On ne peut que compter sur la motivation de l’élève, sur la qualité de son oreille, sur l’affinement progressif de son audition généré par le travail interactif de correction avec le professeur.

Ajoutons un élément supplémentaire à la phrase qui précède. L’élève doit développer et renforcer ses capacités d’écoute en L2. Ceci est possible grâce à diverses activités ayant pour but de lui faire prendre conscience qu’il y a plusieurs façons d’écouter.

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Crédit photo: Napocesco via VisualHunt.com / CC BY-NC-SA

Imagettes: Openclipart

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