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Didactique, méthodologie et linguistique appliquée en FLE

La didactique, un terme difficile à circonscrire.

L’expression Didactique des Langues Étrangères (DLE) a succédé au milieu des années 1970 à l’ancienne dénomination Pédagogie des langues. Ce mot provient du grec didaskein, enseigner. La définition de la didactique n’est pas chose simple et a donné lieu à d’innombrables controverses. L’une des raisons expliquant la difficulté de définir précisément ce concept tient dans sa nature même :

  • quel(s) champ(s) disciplinaire(s) la didactique des langues  recouvre-t-elle,
  • quel est son degré d’autonomie par rapport à des disciplines voisines,
  • a-t-elle une place originale dans les sciences humaines, constitue-t-elle une discipline scientifique autonome ?

La DLE peut être considérée comme présentant des options d’enseignement/apprentissage communes à toutes les langues. On peut également envisager que chaque langue a des caractéristiques originales qu’il est nécessaire de distinguer. Dans cette optique, la didactique du français langue étrangère  (DFLE) constitue un sous-ensemble de la DLE.

La didactique du FLE: présentation de la problématique.

Dans le cadre de son enseignement à tel type de public, un professeur de français langue étrangère (FLE) a le plus souvent recours à une méthode qui est elle-même le reflet d’une méthodologie.

Le terme méthode peut être compris de deux façons différentes. Il désigne :

  •  soit le matériel d’enseignement, qui se compose d’un ou plusieurs livres –livre de l’élève, livre du professeur, livre d’exercices…-, éventuellement accompagné d’autres supports pédagogiques : cassettes audio, cédéroms, vidéocassettes ; Et naturellement tout les supports qui se trouvent sur le Net;
  • soit l’ensemble des procédés et techniques de classe utilisés pour assurer l’enseignement/apprentissage de la langue de façon raisonnée et « scientifique », ce qui suppose la mise en œuvre de principes théoriques.

Le terme méthodologie désigne :

  • soit l’étude des méthodes et la façon dont elles sont appliquées ;
  • soit « un ensemble construit de procédés, de techniques, de méthodes, le tout articulé autour d’options et de discours théorisants ou théories d’origine diverses qui le sous-tendent » (Cuq & Gruca, 2002, 234).

Par convention,  j’emploierai le terme méthode pour désigner tel ou tel matériel pédagogique et réserverai le mot méthodologie pour référer à des principes et/ou à des options théoriques qui sous-tendent l’utilisation dudit matériel.

Plus concrètement, le professeur de FLES peut recourir à une méthodologie particulière –à laquelle il a été formé, par conviction ou par goût-. Il peut aussi employer des méthodes se réclamant de plusieurs méthodologies. Ceci lui permet notamment

  • de ne pas être dépendant d’un type particulier de méthodologie,
  • de varier considérablement la façon de faire ses cours,
  • de s’adapter plus souplement à des publics d’apprenants de cultures différentes,
  • de proposer une progression plus souple et plus diversifiée, etc.

-Plusieurs problèmes se posent immédiatement à l’enseignant :

  •  une méthodologie est-elle meilleure qu’une autre (et si oui, pourquoi ?),
  • les méthodes s’en réclamant sont-elles efficaces (et reflètent-elles les principes méthodologiques dont elles se réclament?)
  • ces méthodes sont-elles utilisables auprès de n’importe quel public d’apprenants ? (sont-elles « universalistes » ou sensées être adaptés à des publics spécifiques : enfants, adolescents, adultes, conviennent-t-elles à tous les groupes linguistiques ou concernent-elles un groupe linguistique particulier, etc).

Répondre à ces questions qui paraissent découler du simple bon sens n’est pas aisé tant l’évolution des méthodologies / méthodes a été rapide dans l’enseignement du FLE au cours des dernières décennies.

La méthodologie au coeur de la didactique.

Le professeur peut être compétent dans plusieurs approches méthodologiques. La carte heuristique ci-après récence les différentes méthodologies et approches existant dans le champ didactique depuis les années 60.

PLURALITÉ DES MÉTHODOLOGIES ET DES APPROCHES EN FLE

La méthodologie renvoie aux techniques et pratiques de classe en fonction des savoir-faire de l’enseignant et d’une formation l’ayant initié de façon critique et raisonnée à l’usage d »‘un matériau pédagogique donné. Cette praxis vise à doter l’apprenant d’une compétence linguistique de plus en plus élaborée.

On comprend dès lors que ce sont les gestes quotidiens de l’enseignant -dans la classe ou par le biais d’un média-, dans des situations d’enseignement et d’apprentissage à destination de publics d’apprenants déterminés qui constituent le coeur de métier.

Le FLE et la didactique des langues et des cultures.

L’expression didactique des langues et des cultures a été proposée dans les années 80 par plusieurs didacticiens. Il s’agissait à l’époque de

  • souligner l’originalité de la didactique du FLE par rapport à la linguistique jugée trop hégémonique. La didactique signifie l’enseignement de la langue mais également de la culture. Cette dernière composante est tenue pour quantité négligeable par le linguiste.
  • d’introduire la dimension culturelle dans l’enseignement/apprentissage du FLE. Outre le fait que cela contribue à démarquer davantage encore  la didactique de la linguistique , cette prise en compte anthropologique  correspondait au besoin de découverte de l’Autre envisagé comme un individu social construisant sa compétence linguistique grâce à sas interactions avec ses pairs. Cette période marquée par les Approches communicatives était très propice au développement  du concept.

Le poids de la culture va aller croissant dans l’univers du FLE. Son importance est soulignée dans la conception du plurilinguisme prônée dans le Cadre européen commun de référence pour les langues.

Pourquoi parler de linguistique appliquée en didactique du FLE aujourd’hui?

Effectivement, ça fait ringard!.. Mais j’assume. Mon raisonnement est le suivant:

a) la didactique du FLE n’est pas une discipline autonome. Elle est au carrefour d’un l’ensemble de disciplines dites de référence ou encore contributoires. Ces dernières relèvent des sciences humaines et sociales. La didactique du FLE y emprunte des concepts, des théories, des modèles, des idées, etc. Le schéma suivant illustre cette position « centrale » de la DFLE telle que la conçoivent un didacticien, un méthodologie ou un professeur de FLE:

didactique-FLE-disciplines-ressources

b) L’enseignant du FLE doit transmettre une langue et une culture. Ceci est bel et bon. Toutefois,

  • Peut-il le faire simultanément? Si oui, comment?
  • Y a-t-il une priorité? D’abord la langue puis la culture? ou bien d’abord la culture (laquelle, comment, pourquoi, pour quoi) et ensuite la langue?
  • Quelle responsabilité incombe d’abord à un prof: de langue vivante: doter prioritairement ses apprenants d’un matériel de survie linguistique et ensuite les initier à la culture étrangère, ou l’inverse?
  • Quelle formation un prof de langue vivante est-il sensé recevoir au cours de ses études, à l’utilisation de quels outils doit-il être formé pour exercer son métier avec efficience et correspondre aux attentes et besoins de ses apprenants? A l’évidence, si quelqu’un s’inscrit à un cours de langue, c’est d’abord pour tenter d’en apprendre et d’en utiliser les rudiments.

Il  paraît évident que le poids de la linguistique pouvait sembler lourd dans les années 60-70. Les années 80 ont vu se développer une chasse aux sorcières structuralistes et le balancier est allé dans la direction opposée: l’anthropologie culturelle est apparue dans le paysage du FLE et n’a cessé de prospérer.

Aujourd’hui c’est l’effet inverse qui s’observe. La culture occupe le devant de la scène de manière hégémonique. Elle est mise à toutes les sauces. La linguistique est reléguée dans les coulisses. Pour s’en convaincre, il suffit  de parcourir le Cadre européen de référence pour les langues. Ce monument de la pensée unique n’évoque qu’épisodiquement la dimension linguistique, simple composante de la compétence à communiquer  langagièrement.

Ma position est la suivante. La linguistique appliquée qui avait cours dans les années 60-70  répondait au simple bon sens. Elle permettait une synthèse entre les apports de différentes disciplines en vue de l’application pratique à des problèmes concrets rencontrés en classe. Les méthodologues de cette époque avaient une formation suffisamment solide en linguistique pour en emprunter des concepts. L’entreprise n’était ni simple ni exempte de risques. De fait, telle notion linguistique nouvelle est d’abord destinée à l’intention des linguistes, non des pédagogues -la théorie des Actes de langage pour ne donner qu’un exemple-. Il incombe au didacticien d’adapter le concept aux besoins spécifiques des acteurs de la classe. Avec les dangers inhérents à cette « pédagogisation » qui risque de dénaturer le concept. Ou, en le détachant de son cadre conceptuel -qui est une théorie en construction-, de le rendre inefficace ou inopératoire.

 

L'idéal en didactique appliquée au FLE: un va-et-vient entre pratiques de classe et disciplines de référence
L’idéal en didactique appliquée au FLE: un va-et-vient entre pratiques de classe et disciplines de référence

Cette situation d’échanges mutuels figurée ci-dessus était celle qui prévalait à l’époque pionnière du FLE dans les années 60-70.

  • Les années 60-70 sont celles où dominent les méthodes audio-visuelles -MAV-. Celles-ci sont des méthodologies d’enseignement, centrées sur l’enseignant qui reçoit une formation spécifique pour utiliser le matériel pédagogique. il peut de référer à un livre du maître lui donnant toutes instructions et précisions utiles, si nécessaire, pour animer chaque leçon image par image et séquence sonore par séquence sonore., Les concepteurs des MAV s’appuyaient sur des acquis de la linguistique structurale, de la théorie de la communication, de la psychologie, compte tenu des connaissances de l’époque.
  • Les années 80 sont marquées par les Approches communicatives qui se démarquent de la période précédente. La méthodologie des MAV est jugée trop lourde et dogmatique. On lui préfère le terme d’approche plus souple, plus ouvert, moins rigide. Les Approches communicatives favorisent des pratiques centrées non sur l’enseignement mais sur l’apprentissage. Désormais, l’apprenant est au centre du dispositif. On tient compte de ses intérêts, de ses motivations, de ses aspirations.
  • Les années 90 sont celles de l’éclectisme. Aucune méthodologie d’enseignement/apprentissage des langues et donc du FLE n’est miraculeuse. Chacune offre des avantages et présente des insuffisances ou des lacunes. Au professeur de faire son choix parmi les méthodologies à disposition en fonction de ses objectifs, de ses besoins, de sa formation… Au fond, l’enseignant est livré à lui-même. Et mal compris, l’éclectisme peut autoriser à faire tout et n’importe quoi… Le délitement de principes méthodologiques réfléchis qui avait débuté pendant l’ère des Approches communicatives va s’accentuant pendant la décennie de l’éclectisme. Et la méthodologie qui était au centre de la formation des professeurs de FLE est de plus en plus noyée dans un discours didactique de plus en plus éloigné des préoccupations et problèmes faisant le quotidien des profs et des apprenants.
  • C’est aussi au nom de l’éclectisme que s’explique l’occultation de la méthodologie dans le Cadre européen commun de référence pour les langues : « … les méthodes à mettre en œuvre pour l’apprentissage, l’enseignement et la recherche sont celles que l’on considère comme les plus efficaces pour atteindre les objectifs convenus en fonction des apprenants concernés dans leur environnement social. L’efficacité est subordonnée aux motivations et aux caractéristiques des apprenants ainsi qu’à la nature des ressources humaines et matérielles que l’on peut mettre en jeu. Le respect de ce principe fondamental conduit nécessairement à une grande variété d’objectifs et à une variété plus grande encore de méthodes et de matériels […]. Le Cadre de référence n’a pas pour vocation de promouvoir une méthode d’enseignement particulière mais bien de présenter des choix » (Cadre européen commun de référence pour les langues, 2001, p. 110). La boucle est bouclée. Ce genre d’affirmation confirme le choix fait dans beaucoup de formations de professeurs de ne pas enseigner la méthodologie pratique mais l’histoire de la méthodologie, ce qui n’est pas du tout la même chose…

Quant à moi, je persiste et signe. La linguistique appliquée est indispensable pour former un professeur de FLE. Elle le dote d’un bagage théorique et pratique lui rendant bien des services en classe. Car c’est une linguistique de terrain, qui se frotte aux difficultés et aux réussites concrètes se vivant en classe et en direct.

Michel Billières

 

 

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