Ce qu’est la tension (rappel).
La tension a été présentée dans la page consacrée à la correction des erreurs consonantiques. Je me contenterai de rappeler ici que
- la tension renvoie à l’articulation des sons de parole
- elle concerne tant la micro motricité que la macro motricité
- elle peut se définir comme l’énergie dépensée lors de l’émission de n’importe quel son
La tension des voyelles.
La figure ci-dessous va nous aider à appréhender le phénomène et à poser le diagnostic.
- Les erreurs de tension les plus fréquentes se produisent sur l’axe vertical. Pour diagnostiquer une erreur relevant de la tension, il suffit donc de se reporter à la flèche de gauche où T+ signifie plus tendu et T- moins tendu.
- certaines erreurs se produisent « en diagonale ». Ceci concerne les voyelles françaises prononcées de façon diphtonguée, certaines voyelles orales -exemple en infra- et dans certains cas les nasales.
• La tension est liée à l’aperture, soit la distance entre la langue et le palais.
Il y a 4 degrés théoriques d’aperture. Plus la voyelle est « fermée », plus elle est tendue. Plus la distance entre les deux articulateurs augmente, plus la tension décroit. Par conséquent, pour les voyelles antérieures, nous avons [i] qui est la plus tendue et [a] la moins tendue. Au sein des voyelles postérieures, par ordre décroissant de tension nous obtenons [u], [o], [ɔ] et [ɑ].
Un exemple typique d’erreur de tension est produit par un Polonais qui prononce [ɔ] en syllabe finale accentuée ouverte -terminée par une voyelle prononcée-, là où un francophone réalise obligatoirement [o]: : chapeau, manteau bateau…
• La tension dépend également de la zone d’articulation; une voyelle réalisée à l’arrière de la bouche est moins tendue qu’une voyelle articulée à l’avant de la cavité buccale. Mais attention à la façon dont le diagnostic est posé en fonction du lieu d’articulation:
- si l’erreur est sur un axe horizontal de même aperture, par exemple [i] – [y] – [u], le diagnostic se pose en termes de clair vs sombre. (La figure le rappelle implicitement par le jeu de couleurs)
- si l’erreur se produit « en diagonale », le diagnostic est ‘effectué en termes de tension. Par exemple un étudiant péruvien devant produire le son [ø] qu’il réalise [u].
• Les voyelles nasales indiquées en bleu sur la figure sont moins tendues que les voyelles orales dites correspondantes. Ceci peut s’expliquer facilement. La luette, est abaissée et permet le passage de l’air par les fosses nasales, en plus de la cavité buccale. Cet abaissement de la partie mobile du palais demande une tension moindre.
• Certains groupes linguistiques prononcent les voyelle françaises à la manière des diphtongues présentes dans le système vocalique de leur langue maternelle. Une diphtongue est une voyelle complexe changeant de timbre en raison de l’instabilité de la langue qui se déplace en cours d’émission. Ceci ne se produit pas avec les voyelles françaises qui ont une tenue articulatoire constante durant toute leur émission; ce sont des monophtongues.
Une diphtongue est moins tendue qu’une monophtongue.
Procédures de correction de la tension des voyelles.
Notre exemple commenté dans la phrase je ne peux pas est un [ø] prononcé [u], erreur assez rare mais pouvant se produire avec un élève péruvien ou sri lankais : [ʒnəpupa]
Le son réalisé est T+ par rapport au son attendu.
Les procédés de correction vient à faire percevoir ce son T-
Priorité à la prosodie.
L’intonation descendante enlève de la tension; l’intonation montante renforce la tension. Le professeur propose donc la phrase où le son à travailler est
- en intonation descendante avec allongement de la syllabe contenant la cible: [pø:]
- en creux intonatif (effet de contraste)
L’enseignant veille à conserver une intonation descendante en toute circonstance.
Le rythme. Deux composantes de l’infra structure rythmique sont à considérer
- la voyelle problématique placée en syllabe accentuée est T+ Ce n’est pas le cas dans l’exemple commenté, l’accent final portant bien sûr sur la dernière syllabe. Le professer conserve cette position non accentuée
- le débit de parole ralenti où on prend son temps sur les syllabes précédant celle où se situe le son à corriger enlève le trop plein de tension. Le professeur veille à conserver une vitesse l’élocution lente.
Le geste accompagnateur.
Le geste est très important pour jouer sur le phénomène de tension.
Il est indispensable pour accompagner le mouvement prosodique.
Ainsi, dans l’exemple ci dessus où le son incriminé doit être réalisé T-, la production de la syllabe [pø:] d’accompagne
- d’un geste partant du haut vers le bas avec la main en pronation (paume vers le bas). Ce geste est coulé, souple. Il est simplement destiné à visualiser la direction du mouvement intonatif descendant
- d’un geste de la main en pronation vers le bas, comme si on appuie sur quelque chose, tant que la syllabe est maintenue en creux intonatif
- d’une détente visible du tronc durant l’émission de la séquence cible. La macro motricité double ainsi la micro motricité.
La prononciation inversée.
Pour rappel, ce procédé consiste pour le professeur à proposer un modèle allant dans le sens inverse de l’erreur commise, comme rappelé dans le schéma suivant.
Ainsi, dans l’exemple [ʒnəpupa], le professeur propose une correction « en diagonale »: il conserve l’intégralité de l’énoncé à répéter et substitue au [u] T+ un son moins tendu que la cible [ø]
- Il propose un [ɛ] très relâché (ouvert) se rapprochant de [a]
- il choisit de passer par [a] avant de se rapprocher de {œ] puis de [ø]
- Il fait réaliser un [ɛ] avant de se rapprocher de {œ] puis de [ø]
- il évite de proposer [e] et surtout [i] qui sont naturellement T+
Bien entendu, il
- reste en intonation descendante
- et conserve un débit naturel mais surtout non accéléré.
Les entourages facilitants.
les voyelles orales.
Les sons s’influencent les uns les autres dans la chaine sonore. Dans la même syllabe, quand nous avons une séquence
- CV, la consonne influe sur le timbre de la voyelle; celle-ci agit sur la tension de la consonne la précédant. Cependant, s’il faut jouer sur la tension d’une voyelle, on peut considérer qu’une consonne T- placée juste avant -une constrictive sonore si on se réfère au tableau de la tension des consonnes- aura tendance à amoindrir la tension de la voyelle subséquente
- CVC, la consonne « fermante » agit sur la durée de la voyelle, donc sur sa tension. Certaines consonnes abrègent la durée vocalique et empêchent la voyelle de se répandre dans l’espace syllabique: il s’agit de [k], [t] et [p] qui sont les consonnes les plus tendues du système. D’autres consonnes sont impuissantes à freiner l’expansion de la voyelle dans la syllabe; il s’agit de [v], [z] et [ʒ], consonnes naturellement T-
Les diphtongues sont des voyelles T- ayant une durée supérieure à celle des monophtogues en raison de leur programme articulatoire complexe. Afin de supprimer la diphtongaison classique chez un anglophone parlant français, un moyen efficace consiste à faire suivre la voyelle prononcée diphontguée
- par [p], [t], [k], ce qui crée momentanément un logatome (non mot)
- en intonation montante
- en adoptant un débit accéléré abrégeant la durée des éléments à prononcer de façon à provoquer T+
- la consonne parasite est ensuite supprimée.
Je consacrerai une fiche spéciale aux différents procédés permettant d’éradiquer la prononciation des voyelles françaises réalisées avec une diphongaison. Je propose une vidéo consacrée à ce problème dans la séquence 7 de la ressource numérique.
Les voyelles nasales.
Une voyelle nasale est T- par rapport à la voyelle orale dite correspondante.
Les deux erreurs les plus fréquentes consistent à
- prononcer une séquence voyelle orale + consonne nasale n à la place de la voyelle nasale, soit [ɛn] au lieu de [ɛ̃]
- prononcer une voyelle dénasalisée soit [ɛ]
Je consacrerai une fiche spéciale aux différents procédés permettant de restituer la prononciation des voyelles nasales. Je propose une vidéo consacrée à ce problème dans la séquence 7 de la ressource numérique.
Autres moyens pour intervenir sur la tension des consonnes.
La voyelle agit naturellement sur la tension de la consonne précédente dans la même syllabe.
Nous voici davantage familiarisés avec le tableau de la tension des voyelles.
Un procédé pour intervenir sur la tension des occlusives consiste à combiner les voyelles en faisant intervenir les entourages facilitants et une prononciation déformée / nuancée.
Je prends deux exemples tirés de la ressource numérique où je travaille avec Patricia, étudiante brésilienne qui prononce un [t] T+ se rapprochant de [ʧ] dans les vidéos n) 116 et 117 de la vidéographie.
Il s’agit des mots type et critiqué.
La tension excessive de [t] est provoquée, par [i]. Pour obtenir un son T-
- je remplace [i] par [a] et obtiens une séquence [ta] tout à fait conforme
- je passe ensuite par des voyelles postérieures qui sont naturellement moins tendues que les antérieures: [tɔ], [to]
- je propose ensuite des antérieures arrondies telles que [œ] et [ø]
- je reviens ensuite vers les antérieures étirées [ɛ], puis [e]. Le son [t] est produit sans tension excessive.
- Le danger survient quand je passe de [e] à [i] par nuancements successifs.
Pendant tout le temps de cet échange, je reste en intonation descendante avec un débit légèrement ralenti pour enlever de la tension.
La discontinuité sonore.
Ce procédé est employé pour favoriser T- pour une occlusive.
Dans la ressource, on le trouve fréquemment utilisé avec Patricia et le jeune étudiant chinois.
Le principe est d’aménager une pause brève (notée par≠) entre l’occlusive et le son suivant qui peut être une consonne ou une voyelle.
L’occlusive est alors en position de consonne fermant la syllabe
L’intonation descendante et un débit légèrement ralentis sont conservés.
exemples: On va t ≠ ravailler; il est d ≠ eux heures
Ce « blanc » produit par apnée constitue une sorte de hiatus provoquant un relâchement des organes articulatoires et contribuant à T-
Le plus souvent, l’élève ne le réalise pas mais produit un son qui est effectivement moins tendu.
la correction d’une occlusive dite « aspirée »
C’est le cas des sons [p[ [t] [d] produits avec un souffle excessif par certains germanophones ou anglophones. Ce sont des sons trop tendus.
L’un des moyens pour aller vers un son T- est de faire précéder le son cible d’une fricative relâchée telle que [s] ou [z] . Ceci a souvent pour effet d’apponter l’excès de tension de la consonne explosive.
Courage! C’est une question d’entrainement! Et regardez les séquences vidéo sur la ressource numérique!
Michel Billières