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Méthode verbo tonale : diagnostic des erreurs sur l’axe clair / sombre

Définition de l’axe clair/sombre.

Dans la terminologie verbo tonale, l’axe clair/sombre est lié sur le plan perceptif au timbre d’un son, c’est-à-dire à l’impression subjective globale qu’il produit sur nous. C’est ainsi que les francophones distinguent les voyelles dites parfois « à double timbre », telles que [ɔ] et [o] ou encore [e] et [ɛ] là où des non natifs ne perçoivent que [E] ou [O].

Sur le plan acoustique, le timbre d’un son dépend de la répartition des fréquences dans son spectre (représentation fréquence/amplitude d’un son  à un moment précis).

  • si les fréquences graves sont privilégiées le son est dit sombre;
  • si ce sont les fréquences aiguës qui prédominent, le son est dit clair.

Les termes aigu et grave sont réservés  à la hauteur, c’est-à-dire laux  variations de la fréquence fondamentale (souvent notée Fo). Celle-ci est la note la plus grave qu’un individu puisse émettre. Elle est générée par la vibration des cordes vocales. Plus leur vitesse de vibration s’accroit, plus la fréquence augmente, plus on a l’impression subjective de hauteur. Les phénomènes inverses s’observant quand la fréquence de vibration des cordes vocales diminue.

Pour illustrer  ce qui précède,

  • une même voyelle prononcée par un homme et une femme a un timbre identique et une hauteur différente: grave pour l’homme, aiguë pour la femme
  • les voyelles [i] et [u] réalisées avec la même fréquente fondamentale ont une hauteur identique mais un timbre différent: clair pour [i], sombre pour [u].

 Le recours à l’axe clair/sombre en phonétique corrective verbo tonale.

Les erreurs des apprenants diagnostiquées sur l’axe clair/sombre sont très fréquentes et concernent les voyelles – les erreurs consonantiques dépendent principalement de la tension-.

Avant d’effectuer le diagnostic, il est nécessaire de comprendre comment les voyelles sont réparties sur cet axe.

Pour ce faire, nous allons commenter la figure ci-dessous relative à la répartition des voyelles françaises sur les deux axes

  • clair / sombre: C+ signifie plus clair et C- plus sombre
  • tension: T+ signifie plus tendu et T- indique moins tendu
voyelles sur axe clair sombre et axe tension
la répartition des voyelles du français et les 2 axes de correction utilisés en verbo tonale

Pour le moment, seul l’axe clair/sombre nous intéresse.

• Comment est construite cette figure.

Elle est obtenue sur la base des deux premiers formants de chaque voyelle du français.

Les formants sont des bandes de fréquences renforcées (produites avec davantage d’intensité) en fonction de la forme et du volume des résonateurs supra glottiques. Chaque voyelle est produite avec une forme et un volume spécifiques de ces cavités. Pour une voyelle donnée, la valeur normalisée

  • du 1er formant -noté F1- est projetée sur l’axe vertical
  • du 2ème formant -noté F2- est projetée sur l’axe horizontal.

Toiutes choses égales par ailleurs, on constate que le

  • 1er formant semble lié à l’aperture: plus l’écart entre le palais et la langue augmente, plus la valeur de F1 croît
  • le 2ème formant dépend de la zone d’articulation: plus la langue est avancée dans la cavité buccale plus la valeur de F2 est importante.

Cette figure parfois appelée triangle acoustique rappelle le classement articulatoire classique  avec les voyelles antérieurs et postérieures et les 4 degrés théoriques d’aperture .

• Voyelles et aires de dispersion.

Les valeurs des deux premiers formants sont en fait canoniques et correspondent à une moyenne. En supposant que l’on enregistre plusieurs fois  les mêmes voyelles et qu’on les soumette à une analyse acoustique   destinée à établir leurs valeurs de F1 et F2, les résultats seront différents pour chaque item: aucun [i] n’aura exactement les même valeurs, de même tous les [y] auront des F1 etF2 présentant des écarts.

Ceci est normal. Ce qui caractérise la parole, c’est son irreproductibilité. On ne produit jamais deux fois le même son. Et on lit souvent dans la littérature phonétique que les voyelles ont besoin d’un grand espace pour se réaliser. Ceci se retrouve sur le plan acoustique dans la figure suivante. Chaque voyelle a une aire de dispersion correspondant à une zone plus ou moins étendue.

 

aires de dispersion des voyelles du français
aires de dispersion des voyelles du français

On constate que ces aires de dispersion

  • ne sont pas cloisonnées; elles se recouvrent partiellement
  • sont poreuses, ce qui est indiqué par les pointillés marquant leurs limites
  • font apparaître des zones d’interférences où l’on ne sait trop quel son est produit.

 Le diagnostic des voyelles sur l’axe clair/sombre.

Pour comprendre le diagnostic, on se reporte à la figure n° 1 ci-dessus.

Une erreur de timbre jugé trop clair ou trop sombre se produit sur l’axe horizontal, avant-arrère.

Quand le son erroné est C+ la fréquence de F2 est plus élevée; elle est plus basse lorsque le son est réalisé C- Cf. la flèche horizontale et les valeurs  du 2 ème formant.

a) le son attendu  [y] est fréquemment produit

  • [i] par un arabophone; il est trop clair noté C+
  • [u] par un Slave; il est trop sombre noté C-

b) le son [ø] est fréquemment produit

  • [e] par un hispanophone; il est trop clair, noté C+
  • [o] par un iranien; Il est trop sombre noté C-

L’erreur commise est liée

  • à la position plus ou moins avancée de la langue dans la cavité buccale. Le son est assombri quand la masse linguale  est en arrière comme pour [u]; il est éclairci quand elle occupe une grande partie de la cavité buccale comme pour [i] où elle est massée à l’avant. Les valeurs de F2 sont basses dans le 1er cas, bien plus élevées dans le 2nd.
  • à la présence du résonateur labial pour les voyelles arrondies. Il ajoute une cavité supplémentaire qui a pour conséquence d’assombrir le timbre. C’est ce qui se produit pour [i] et [y] qui sont deux voyelles antérieures pour lesquelles la langue occupe une position similaire. Mais [i] est étirée (pas de labialisation), contrairement à  [y]: arrondissement et (projection des lèvres en avant. La valeur de F2 est plus élevée dans le 1er cas.
  • au résonateur supplémentaire nécessaire à la production des voyelles nasales. L’abaissement  de  la luette libère le passage de l’air vers les fosses nasales et assombrit le timbre des voyelles considérées par rapport aux voyelles orales dites correspondantes.

Plus le volume est grand, plus le son est sombre. Si j’emplis d’eau une bouteille vide, j’entends un son très assombri au début. Plus la bouteille se remplit de liquide, diminuant le volume disponible, plus le son s’éclaircit. Appliquons ce principe élémentaire de physique aux sons de parole. [u] est sombre car le volume de la cavité buccale est important, la langue étant massée à l’arrière; [i] est clair car la langue est avancée et occupe la plus grande partie de la bouche ne laissant qu’un petit volume disponible.

 Les procédures de correction des voyelles sur l’axe clair/sombre.

L’intérêt de la MVT est qu’il est possible de corriger une erreur phonétique en ayant recours à plusieurs procédés de correction.

Nous allons les commenter un à un. Dans la pratique, il est possible d’employer

  • un seul procédé à la fois
  • d’associer plusieurs procédés

ce qui augmente les combinaisons possibles pour éradiquer une production incorrecte et augmente l’efficacité de la remédiation.

 Exemple commenté d’un son prononcé trop sombre.

Partons de l’exemple Je n’ai pas vu ce film réalisé en phrase affirmative, donc en intonation descendante.  l’apprenant prononce [vu] au lieu de [y].

Diagnostic:  [y], son attendu, réalisé [u] –> le son est C- et il va falloir recourir à des procédés destinés à éclaircir le timbre des stimuli proposés à l’apprenant.

Priorité à la prosodie.

De façon naturelle

  • l’intonation montante éclaircit spontanément le timbre d’une voyelle
  • une voyelle sous l’accent voit ses hautes fréquences davantage valorisées

Le professeur fait entendre un modèle tel que je n’ai pas vu où la syllabe contenant le son cible est réalisée

  • en intonation montante ↗︎
  • avec un allongement de sa durée, ce qui assure théoriquement un meilleur confort auditif à l’apprenant pour traiter l’information
  •  sans inclure le 2nd groupe rythmique; ceci assure la place de la voyelle sous l’accent primaire (final) du français et permet de se mieux se concentrer sur ce qui a été perçu en dernier.

Si l’apprenant produit un [y] acceptable, le professeur propose l’énoncé complet en veillant à produire le 1er groupe rythmique de la même façon que précédemment. Il peut ménager une pause brève entre les deux je n’ai pas vu ↗︎ ce film afin de préserver toutes les spécificités de la syllabe (vy].

 Le geste accompagnateur.

Le professeur prononce le groupe rythmique je n’ai pas vu en l’accompagnant d’un geste montant de la main en pronation, c’est-à-dire paume vers le bas. Il peut également redresser la tête en faisant le geste. Par mimétisme, l’élève peut aussi soulever légèrement la tête, la main ou le buste. Ces mouvements corporels ascendants facilitent un mouvement intonatif croissant.

La prononciation inversée.

Le principe consiste à proposer à l’apprenant un modèle à l’opposé de celui qu’il a initialement produit. Il s’agit en quelque sorte de « tirer » le son à l’opposé de l’erreur commise. Si on se reporte à la figure n°1 ci-dessus, l’élève a prononcé [u] au lieu de [y], le professeur fait entendre un modèle en sens inverse, soit allant vers [i]. Il émet un son très exagérément éclairci.

Je distingue deux degrés de correction dans l’usage de ce procédé

  • la prononciation déformée consiste à proposer un son à l’opposé de celui qui a été réalisé de façon erronée, puis à revenir progressivement vers le son-cible.
  • la prononciation nuancée consiste à produire des nuancements, des variations à l’intérieur de la zone d’interférence entre les deux sons puis à s’introduire dans l’aire de dispersion du son-cible. Il est préférable d’user du nuancement à chaque fois que possible.

La figure suivant permet de visualiser le procédé.

prononciation déformée prononciation nuancée
prononciation déformée prononciation nuancée

Le son attendu est [y] et l’apprenant produit [u]. Il n’est pas sensible aux fréquences claires de [y] et réalise un son C-

Le professeur propose un timbre exagérément C+ proche de [i] ou bien intermédiaire entre [i] et [y]. Avec un peu d’entrainement, ce n’est pas si compliqué à réaliser. La gradation dans la correction au moyen de ce procédé peut être figurée par le schéma suivant:

de la prononciation déformée à la prononciation nuancée en phonétique corrective verbo tonale
les 2 paliers de la prononciation inversée: de la prononciation déformée à la prononciation nuancée

Les entourages facilitants.

Cet autre procédé est fondé sur le principe suivant: les sons s’influencent mutuellement dans la chaîne sonore. Ainsi, à l’intérieur de la même syllabe

  • la consonne exerce une action sur les fréquences hautes ou basses de la voyelle suivante
  • la voyelle agit sur la tension de la consonne la précédant

Le tableau en infra indique les consonnes « éclaircissantes » qui agissent sur les hautes fréquences de la voyelle subséquente; les consonnes « assombrissantes » en renforcent les fréquences basses. Les consonnes « intermédiaires » assurent une sorte de relais entre es deux autres groupes.

Ce tableau est très utile notamment quand les apprenants sont sensibles à la prononciation nuancée, rendant ce procédé inopérant. C’est le cas des lusophones, de certains Slaves, des Syriens qui entendent et restituent les nuancements vocaliques. Avec ces publics, travailler sur la base du tableau ci-après est alors fort rentable.

consonne et caractère clair ou sombre de la voyelle en verbo tonale
l’influence de la consonne sur le timbre de la voyelle suivante

Si je reprends l’exemple je n’ai pas vu ce film  et consulte le tableau, je constate que la consonne [v]  n’est pas facilitante. Elle peut contribuer à renforcer les fréquences plus sombres de [u] par rapport au son cible [y]. J’ai donc recours au procédé des entourages facilitants et utilise momentanément des consonnes destinées à éclaircir le timbre de [y]:

  • je propose je n’ai pas [sy] ce film et je n’ai pas [zy] ce film
  • la syllabe cible est prononcée en sommet intonatif
  • sa durée est allongée afin d’en faciliter le traitement (théoriquement)
  • un geste montant de la main accompagne la production soonore de la syllabe prononcée en sommet tonal

Important: j’utilise des syllabes vides de sens appelées logatomes. Une crainte légitime est de penser que je vais peut-être apprendre des non mots à l’apprenant. Il n’ya aucun risque si

j’effectue le travail de stimulus/réponse dans un délai de moins de 2 secondes, ce qui correspond à l’activation de la séquence sonore en mémoire de travail. Le nouveau couple stimulus/réponse efface le précédant et ainsi de suite. Il n’y a aucune rétention chez l’élève. Seul le dernier item passera éventuellement en mémoire permanente

je quitte l’élève, au terme de l’interaction, en lui proposant  l’énoncé de départ qui a servi au travail phonétique. Il le répète bien, cela signifie que le travail d’engrammation suit son cours. il le répète mal, il faudra recommencer.  C’est le lot quotidien en phonétique corrective durant les premières séances.

Quand l’apprenant réalise bien [y] avec une consonne éclaircissante, je fais répéter 2 ou 3 fois en jouant sur l’intonation puis reviens vers la structure initiale, je n’ai pas vu. L’erreur à ne pas commettre est de la proposer immédiatement. L’élève risque de retomber dans l’erreur. Il taut revenir par paliers successifs, en passant par les consonnes « intermédiaires » puis des assombrissantes comme [p] ou [b].

 Le cumul des procédés.

Les procédés basiques d’écrits dans la section précédente peuvent naturellement être associés.

Un apprenant peut être sensible à l’intonation associée avec la prononciation nuancée, un autre préfère une mélodie accompagnée par les entourages facilitants, etc.

Chaque apprenant est sensible à telle combinaison  de procédés pour un son donné. Le professeur la repère généralement rapidement. Il l’utilise préférentiellement quand l’erreur porte sur ce son. Ce faisant, l’enseignant

  • emploie une véritable optimale corrective
  • utilise une sorte de raccourci pédagogique dont l’impact est de nature à mieux orienter les capacités attentionnelles dans le processus d’audition perceptive de l’apprenant.

 Pour vous aider à concrétiser et à vous emparer de cet apport théorique.

La séquence 5 de la ressource pédagogique numérique  vous propose un commentaire des procédés de correction accompagné de nombreuses interactions vidéo commentées. Vous pouvez ainsi visualiser et entendre ce qui vient d’être exposé théoriquement dans cette page. Et vous faire une idée précise de ce qu’est l’intervention phonétique en classe de langue.

En outre, un film pédagogique sur les procédés de correction des voyelles et des consonnes reprend les éléments exposés ici. Il peut être un auxiliaire précieux à visionner.

Michel Billières

 

 

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