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La parole, royaume de la variabilité et de la variation

La variabilité autant que par la variation caractérisent la parole.  Le premier terme renvoie à une « réalité phonétique »: l’irreproductibilité de la parole; on ne prononce jamais deux fois le même son. Pour de multiples  raisons. Fort heureusement,  les « sensations sonores » sont identiques pour les membres d »une même communauté linguistique. Ce qui permet à ses membres d’identifier les sons pertinents de la langue malgré la multitude de leurs réalisations concrètes. La variation renvoie à une « réalité sociolinguistique » établissant que chaque locuteur appartenant à telle ou telle communauté linguistique a une façon personnelle d’utiliser la langue en situation de parole.

la variabilité constante dans la parole.

La parole entendue présente plusieurs propriétés singulières.

Qui constituent autant de défis pour les chercheurs. Jugez plutôt :

  • Le signal de parole est un signal sonore continu dans lequel il n’y a aucun repère physique pour déterminer où un mot commence et se termine. Nous n’en avons aucune conscience en langue maternelle. Mais nous nous sentons cruellement démunis quand nous entendons une langue étrangère que nous ne comprenons pas ou maîtrisons mal. Le flux parolier est perçu comme un continuum d’une suite de sons que l’on pourrait couper n’importe où. Comment ce stimulus sonore est-il converti en une séquence d’unités discrètes – c’est-à-dire opposables entre elles, pertinentes- rendant possible l’identification du message phonétique ?
  • c’est un signal sonore présentant une extrême variabilité en fonction du sexe de l’émetteur, de son âge, de son origine géographique, de son milieu social, de son état psychique, d’un éventuel problème de santé (rhume par exemple) , etc. Malgré cette hétérogénéité de surface, l’auditeur extrait des unités significatives. Il veut comprendre ce qu’il entend ! Et il s’efforce de repérer les mots qui constituent des unités de prédilection de par leur poids psychologique. On considère qu’il les identifie grâce au lexique mental. Quelle est la structure de ce lexique interne ? Comment accède-t-on aux représentations lexicales ?
  • l’identification d’un mot prononcé n’est possible qu’à la fin de la séquence de sons qui le composent. On a affaire à des successions successives de sons composant l’unité mot à reconnaître. Comment l’auditeur accède-t-il à l’information lexicale en temps réel ?
  • Comprendre une phrase suppose que l’on effectue une mise en relation entre le sens des mots et les relations syntaxiques qu’ils entretiennent. Il faut distinguer entre percevoir une phrase et interpréter une phrase :
      • Percevoir une phrase, c’est qui réfère à l’extraction de son contenu propositionnel ; on accède à son sens littéral, grammatical en quelques sorte ;
      • Interpréter une phrase, c’est ce qui renvoie aux processus complexes de mise en relation de la proposition avec toute une série d’informations extralinguistiques (le contexte).

La variabilité des sons de parole est donc individuelle, individuelle, et contextuelle. Et tout ceci s’effectue en temps réel ! Et sans aucun effort !

Comment expliquer le problème posé par la variabilité de la parole?

La théorie motrice de la parole.

Les invariants sont représentés par des gestes articulatoires. Pour Oudeyer [litetooltip targetid= »litetooltip_1517242379884″ location= »right-top » opacity= »1″ backcolor= »#E54C3C » textcolor= »#ffffff » textalign= »center » margin= »5″ padding= »10″ trigger= »hover »]
P.-Y. Oudeyer (2013) Aux sources de la parole Paris, Odile Jacob
[/litetooltip] (2013, 38-39), le cerveau serait capable de transcrire les représentations auditives fournis par la cochlée en représentations gestuelles; il serait aussi capable de transcrire les représentations gestuelles en représentations musculaires  (pour contrôler les organes de la parole) et vice versa.

Ce qui engendre un triple niveau de réutilisation:

  • les lieux et les manières -les endroits du chenal vocal où  ont lieu les constrictions et leurs différentes configurations- sont réutilisés pour former les gestes;
  • les gestes et leur combinaisons sont réutilisés pour former les syllabes;
  • les syllabes sont réutilisées pour former les mots (Oudeyer, ibid. 42).

La théorie des prototypes.

Telle catégorie d’objet par exemple un /y/, un /z/ ou encore un /ʃ/représente en fait une synthèse de toutes les formes sonores de ces sons paroliers -et des autres- entendus par une personne au cours de son existence. Cette forme abstraite conservée en mémoire constitue un prototype permettant d’identifier toutes les formes concrètes présentant des caractéristiques acoustiques et articulatoires similaires en dépit de la variabilité. Et ce grâce à la catégorisation, un processus permettant de regrouper des entités différentes dans une même représentation unitaire sur la base de leurs propriétés partagées. Ceci permet la création et l’entretien de représentations mentales captant l’aspect catégoriel des événements en provenance de l’environnement.

Chaque langue possède son territoire sonore.  Le nourrisson est immergé dans un véritable bain audio-phonologique avec son entourage.  La perception catégorielle démarre très tôt dès la naissance et se développe au cours de la 1ère année de vie de tout bébé. C’est ainsi qu’entre 1 et 5 mois il devient sensible aux contrastes phonétiques, reconnait certaines syllabes ainsi que certains contours intonatifs. Il commence à catégoriser les voyelles entre 5 et 7 mois. Vers 8-10 mois, il produit les voyelles de sa langue, son babillage devient plus précis. Il réalise les contours intonatifs de la langue qu’il entend quotidiennement. Entre 10 et 12 mois le phénomène de surdité phonologique s’installe : le bébé ne produit plus de sons « bizarres », il réalise ceux de sa langue maternelle exclusivement.

Il s’ensuit que tous les locuteurs d’une même langue en catégorisent les sons de manière sensiblement identique. Et ils en ont également la même perception subjective, une même sensibilité sonore pour ainsi dire. Ce qui est essentiel pour la communication et l’intercompréhension. Par contre, les locuteurs d’autres langues peuvent percevoir et catégoriser les sons de manière très différente. Chaque communauté linguistique possède son propre système de catégorisation des vocalisations.

Un article du blog a déjà été consacré à la catégorisation des sons de parole.Vous le trouverez ici. 

La variation constante dans la parole.

Dans une vision structuraliste classique, chaque membre d’une communauté linguistique donnée est détenteur de la langue. La langue est une et homogène. Elle est l’outil de communication par excellence, assurant l’intercompréhension.

Dans une optique sociolinguistique, chaque personne à une manière singulière, bien à elle, d’utiliser la langue et de lui donner vie et corps par la parole. Celle-ci est caractérisée par la variation idiosyncrasique : tout individu a une façon individuelle, originale de parler : inflexions prosodiques, articulation de certains sons, recours à des items lexicaux ou des emplois syntaxiques préférentiels, tics langagiers, etc. L’oral, vecteur de la parole en situation, est marqué par l’hétérogénéité, la non uniformité. Et ce bien davantage que l’écrit qui lui est plus stable, prévisible, normé. La variation s’observant à l’oral est omniprésente autant que plurielle.

Elle est due à plusieurs facteurs synthétisés dans cette figure

Photo credit: Pittou2 on VisualHunt / CC BY-NC

2 commentaires sur “La parole, royaume de la variabilité et de la variation”

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