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Le rôle du geste pédagogique dans l’étayage enseignant

L’étayage, un concept forgé par J. Bruner, constitue une accroche forte dans les propositions pédagogiques actuelles. Un article de Charlotte Blanc-Vallat précise combien le geste pédagogique constitue un atout fort pour contribuer à sa réussite.

Auteur invité du Blog

Charlotte Blanc-Vallat enseignante de FLE

Charlotte Blanc-Vallat est enseignante de Français Langue Étrangère (FLE) au Département d'Études du Français Langue Étrangère (DEFLE) de l'université Toulouse 2 - Jean Jaurès et docteure au sein de l'URI Octogone-Lordat,
Recherches en didactique des langues et des cultures en FLE. Domaines de spécialité: analyse des interactions en classe; pratiques et stratégies enseignantes (l'étayage enseignant). Thèse: contextualisation de l'enseignement-apprentissage du français au milieu universitaire chinois.

 

L’étayage enseignant : un ensemble de stratégies d’aide et de guidage.

La notion d’étayage, scaffolding, développée par Bruner (1983), correspond à l’aide apportée par un adulte expert, à une autre personne moins experte, afin de lui permettre d’accomplir une tâche qu’elle n’aurait pu effectuer toute seule.

Dans le cadre de la classe, le déroulement du cours et les objectifs pointés sont « pensés » par l’enseignant. Une fois qu’un « contrat didactique » est établi entre les divers participants à l’interaction, les stratégies d’étayage de l’enseignant peuvent se déployer. L’apprentissage dépend en partie du type d’assistance fourni par l’enseignant ou par l’interactant le plus compétent. L’appropriation dépend du fait que l’interactant le plus compétent laisse l’apprenant agir seul, tout en le guidant. En situation d’enseignement/apprentissage, l’interaction de tutelle (Bruner, 1983), dans lequel est mis en œuvre l’étayage, permet à l’apprenant (le novice) de dépasser le niveau actuel de son expérience dans son utilisation de la langue. C’est par la collaboration entre ces deux personnes que la solution va apparaitre et permettre une bonne poursuite de l’interaction. Selon Bruner : « la plupart du temps, l’intervention d’un tuteur comprend une sorte de processus d’étayage qui rend l’enfant ou le novice capable de résoudre un problème, de mener à bien une tâche ou d’atteindre un but qui auraient été, sans cette assistance, au-delà de ses possibilités » (Bruner, 1983, p.263). En effet, l’aide fournie par l’expert ne constitue qu’un aspect du processus d’étayage. De son côté, le novice doit « reconstruire pour son propre compte » le savoir qui est mis à sa disposition. A ce moment interactionnel, s’ajoute un moment cognitif individuel. Le premier doit en quelque sorte servir à déclencher le second.

En classe, l’étayage recouvre donc toutes les manières dont l’enseignant accorde ses interventions aux capacités des élèves ainsi que tous ses processus d’ajustement (Grandaty & Chemla, 2004). L’étayage de l’enseignant est un geste professionnel (Bucheton, 2009). Les gestes professionnels sont des gestes de métier, partagés soit de manière explicite, soit implicite par les membres d’une communauté professionnelle. Ces gestes ont besoin de « formats » (Bruner, 1983) d’étayage qui sont identifiés et reconnus par l’ensemble des élèves. En milieu scolaire, l’étayage « c’est ce que l’enseignant fait avec son élève pour l’accompagner dans ses apprentissages et dans la mise en place de conduites et attitudes qui leur sont propices. C’est l’intervention du maître dans un espace d’apprentissage que l’élève ne peut mener seul » (Bucheton, 2009, p.59).

A l’inverse, il peut arriver que l’enseignant aille à l’opposé de l’étayage, en utilisant des stratégies qui n’aident pas l’apprenant dans son processus d’apprentissage, mais qui, au contraire, peuvent venir le bloquer dans ce processus; par exemple, il ne laisse pas de place à la pensée des élèves, il donne la réponse trop rapidement, sans laisser assez de temps aux apprenants pour y réfléchir, ou encore il leur coupe la parole. On qualifie ces situations de « sur-étayage » ou encore de « contre-étayage« .

La fonction du tuteur est donc d’assurer l’apprentissage, tout en faisant agir. L’activité développée par le tuteur dans l’étayage doit avoir pour but de développer l’autonomie de l’apprenant, de lui donner confiance en lui et de lui permettre de progresser dans son apprentissage (Vallat, 2012).

La gestuelle en didactique des langues.

Les gestes utilisés par le professeur, et notamment les gestes co-verbaux participent de l’étayage de l’enseignant. Ils lui permettent d’étayer ses propos de manière plus discrète, sans briser l’échange avec les apprenants et de rajouter des informations qui peuvent les aider à accéder au sens en langue étrangère. L’intérêt pour la communication non verbale et en particulier la gestuelle dans les domaines de l’acquisition et de la didactique des langues est assez récent. Les recherches dans ces domaines ne se sont intéressées à l’étude de la gestuelle comme faisant partie intégrante de la communication, que depuis une trentaine d’années.

Les travaux de McNeill (1992) ont grandement contribué à la compréhension du langage aujourd’hui en montrant le rôle que jouent les gestes dans la production de la parole : le langage et les gestes sont deux partenaires indissociables issus d’un seul système et sont co-expressifs dans la génération et la production de la pensée. D’autre part, la parole et la gestuelle sont toutes les deux planifiées au niveau conceptuel. Les chercheurs en acquisition et apprentissage des langues se sont donc intéressés aux gestes pédagogiques de l’enseignant, dans le contexte de l’acquisition d’une langue seconde ou étrangère (notamment les travaux de Tellier, 2008; Tellier & Stam, 2010 et Tellier & Cadet, 2014).

Les travaux de Tellier ont montré le fort impact des gestes produits par l’enseignant sur la compréhension chez les enfants et sur leur mémorisation d’items lexicaux dans la langue cible. Ces travaux qui se sont aussi interrogés sur l’interprétation des gestes pédagogiques par les enfants ont montré les difficultés d’interprétation rencontrées par les apprenants face à l’utilisation des emblèmes (ce sont des gestes culturellement marqués), par l’enseignant.

Le modèle théorique dans lequel nous nous situons, l’Approche interactionniste, implique la nécessité de disposer d’une vision globale des interactions en classe ; c’est-à-dire non seulement des échanges verbaux mais aussi du langage gestuel et des actions non verbales. En effet, la langue n’advient rarement seule, elle « ne se présente jamais nue mais au contraire toujours habillée du costume de la voix du locuteur et du pardessus de ses attitudes, gestes, mimiques et regards » (Colletta, 2005, p.1

  1. Spécificité du geste pédagogique et son rôle dans l’étayage enseignant.

L’enseignant, et tout particulièrement l’enseignant de langue, est un grand gesticulateur. Tout comme l’est sa voix, son corps est un outil pédagogique. Il l’utilise dans le but d’aider l’apprenant dans son processus d’apprentissage. Les gestes de l’enseignant ont, pour la plupart, une visée pédagogique et participent donc à l’étayage de celui-ci. Selon Tellier (2008), le geste pédagogique est essentiellement un geste des bras et des mains, utilisé par l’enseignant de langue dans un but pédagogique. L’objectif visé est de faciliter l’accès au sens en langue étrangère : c’est en quelque sorte une traduction gestuelle des paroles de l’enseignant.

  • Diverses catégorisations des gestes

Plusieurs classifications des gestes ont été proposées. Entre autres, nous pouvons citer les deux suivantes.

Tout d’abord, Colletta propose une catégorisation des gestes co-verbaux. Ces gestes correspondent à « l’ensemble des gestes, mimiques et actions non verbales qui accompagnent les productions langagières », de l’enseignant. Ces gestes sont les suivants: les co-verbaux référenciels qui permettent de représenter des référents concrets ou abstraits c’est-à-dire des gestes de type iconique ou métaphorique (parmi lesquels les gestes déictiques, illustratifs, etc.); les co-verbaux de synchronisation (gestes rythmiques par exemple qui permettent de scander le flux de parole); et, les co-verbaux expressifs (gestes qui redoublent, renforcent la parole par exemple). Colletta travaille certes sur le rôle de la posturo-mimo-gestualité dans le développement du langage chez l’enfant, mais ses travaux ont inspiré de nombreuses recherches sur la multimodalité en situation éducative.

Par ailleurs, Tellier et ses collègues, proposent une catégorisation des gestes qui s’est inspirée de la classification de McNeill (1992) et des enrichissements proposés par Tellier et Stam (2010). La typologie des gestes est la suivante: le geste déictique (un geste de pointage); le geste iconique (un geste illustratif d’un concept concret); le geste métaphorique (un geste illustratif d’un concept abstrait); le geste de battement (un geste rythmant la parole, sans contenu sémantique); l’emblème (un geste culturel, conventionnel); le Butterworth (un geste de recherche lexicale); le geste interactif (un geste adressé à l’interlocuteur pour la gestion de l’interaction); et, le geste avorté (un geste esquissé mais avorté).

  • A quoi sert le geste pédagogique?

La gestualité co-verbale de l’enseignant joue plusieurs rôles dans l’activité d’enseignement/apprentissage, comme le souligne Baurens, Blanc & Griggs (2007, p.10) :

Un rôle d’accès au sens, avec la présence notamment de gestes de pointage: des déictiques ou des illustratifs comme le pointage vers soi ou certaines parties du corps. Le pointage vers des supports permet aussi d’accéder au sens : le tableau, l’ordinateur, le cahier, etc.

Un rôle d’organisation de l’activité, avec la présence de gestes de pointage, par exemple, pour désigner des élèves ou pour distribuer la parole; de jeux de regard ou encore de gestes sonores tels que le claquement de doigts ou le fait de frapper des mains pour attirer l’attention, ou relancer l’activité.

Un rôle au sein des interactions, avec la présence de gestes comme un hochement de tête en signe d’approbation, signe de négation avec la main, gestes de bascule de la main (signe d’approximation), ou encore des mimiques du visage (signe d’impatience ou d’agacement).

Tellier (2008) a également établi un classement fonctionnel qui permet de mettre en valeur trois grandes catégories de gestes : les gestes d’information, d’évaluation et d’animation.

Les gestes d’information : ce sont notamment des gestes d’information grammaticale et lexicale. Le geste est produit par l’enseignant pour illustrer un mot ou une idée de son discours oral.

Les gestes d’animation comprennent les gestes de gestion de classe (pour marquer le début et la fin d’une activité, la place des apprenants ou du matériel, etc.) et de gestion des interactions et de participation (interroger, donner la parole, stopper, etc.).

Les gestes d’évaluation comprennent les gestes pour féliciter, approuver ou signaler une erreur.

Ces nombreux gestes créés et utilisés de manière régulière par un enseignant constituent peu à peu « un code gestuel commun » partagé par l’ensemble des participants à une même classe. Une fois bien compris et assimilés par les apprenants, ils deviennent d’une grande aide pour la compréhension et la mémorisation. Selon Tellier (2008, p.4), trois conditions doivent être réunies pour qu’un geste pédagogique fasse partie du code commun de la classe. Il faut :

« que ce geste soit toujours associé au même sens.

– Que son utilisation soit fréquente afin d’être mémorisé

– Qu’il garde toujours le même aspect (la même forme) pour être bien identifié. »

 

Ainsi, le geste pédagogique aide l’enseignant dans sa classe de langue mais ce geste est également efficace pour les apprenants en créant des automatismes chez eux. En voyant l’enseignant faire tel ou tel geste, ils savent directement ce qu’’ils doivent faire (parler, continuer à parler, s’arrêter, corriger leur discours, etc.) Mais, certains types de gestes ne sont pas toujours une aide pour l’accès au sens, et peuvent même parfois représenter un obstacle à la compréhension.

  • Le geste : source de confusion ?

Certains gestes utilisés par l’enseignant peuvent être une source de confusion pour l’apprenant. En effet, selon Tellier (2008), dans le cadre d’un enseignement de langue étrangère, cela peut arriver pour deux raisons.

D’une part, le marquage culturel du geste : tout geste est culturellement marqué. En effet, chaque communauté culturelle possède des pratiques non verbales qui lui sont propres. Les gestes les plus caractéristiques d’une culture sont les emblèmes. Chaque communauté possède un répertoire d’emblèmes qui ne sont pas toujours compris par d’autres communautés. Il est donc important pour l’enseignant, de familiariser les apprenants avec ces gestes-là.

D’autre part, la représentation gestuelle peut être interprétée de manière différente selon l’âge et la maturité d’une personne. Adulte et enfant n’ont pas les mêmes représentations du monde. Un adulte, possède une certaine conception du monde par son expérience de la vie, et a des habitudes gestuelles et verbales bien particulières. L’enfant a une perception du monde qui est en pleine construction.

Ainsi, certains gestes sont à expliquer, à affiner ou encore à modifier si l’on souhaite que le support non verbal soit efficace pour la compréhension en langue étrangère. Le recours à la gestualité est un support bien efficace pour l’enseignant de langue car il lui permet notamment de ne pas passer par la traduction en langue maternelle et de toucher tous les apprenants, quel que soit leur préférence modale. Nous concluons que les éléments non-verbaux participent fortement de l’étayage de l’enseignant et aident à la participation et à l’investissement des apprenants dans la classe de langue étrangère. Il nous semble que les gestes co-verbaux et la gestualité de manière générale, sont des éléments à prendre désormais en compte au niveau méthodologique et, par la même, en formation de formateurs.

Références bibliographiques.

Baurens, M., Blanc, N., & Griggs, P. (2007). Analyse des interactions en classe de langue étrangère dans un cadre socio-cognitif : formes d’étayage et mode de participation ‘sexuée’. Actes (en ligne) du colloque international de septembre 2006. Université Paris III.

Bruner, J.S. (1983). Le développement de l’enfant : savoir faire, savoir dire. Paris: PUF.

Bucheton, D. (2009). L’agir enseignant : des gestes professionnels ajustés. Toulouse : Octarès éditions.

Colletta, J.M. (2005). Communication non verbale et parole multimodale : quelles implications didactiques ? Le français dans le monde. Numéro spécial, Recherches et applications, 32-41.

Grandaty, M., & Chemla, M.T. (2004). Médiation de l’enseignant dans l’apprentissage : les étayages. In C. Garcia-Debanc, & S. Plane (Eds), Comment enseigner l’oral à l’école primaire ? (pp. 173-214). Paris : INRP, Hatier pédagogique.

McNeill, D. (1992). Hand and Mind. Chicago: The University of Chicago Press.

Tellier, M. (2008). Dire avec des gestes. In F. Chnane-Davin, & J.P. Cuq (eds), Du discours de l’enseignant aux pratiques de l’apprenant en classe de français langue étrangère, seconde et maternelle. Le français dans le monde, Recherches et applications, 44.

Tellier, M., & Stam, G. (2010). Découvrir le pouvoir de ses mains : La gestuelle des futurs enseignants de langue. Actes du colloque, Spécificités et diversité des interactions didactiques : disciplines, finalités, contextes, 24-27 juin 2010, Lyon, France, 1-4.

Tellier, M., & Cadet, L. (2014). Le corps et la voix de l’enseignant : théorie et pratique. Paris: Maison des Langues.

Vallat, C. (2012). Etude de la stratégie enseignante d’étayage dans des interactions en classe de Français Langue Etrangère (FLE), en milieu universitaire chinois. Thèse de doctorat. Toulouse: Université Toulouse 2 – Jean Jaurès.

Source image: Pixabay

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