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Les courants psychologiques antérieurs au cognitivisme en fle

La pédagogie des langues appliquée au fle qui émerge au tout début des années 1960 est influencée par les théories psychologiques dominantes à l’époque que sont le béhaviorisme (théorie du comportement) et le gestaltisme (théorie de la forme).

Le béhaviorisme.

Présentation.

Le béhaviorisme apparu aux États-Unis au début du XXème siècle domine toute la psychologie jusqu’à la fin des années 1950.

Le principe de base de cette école est de se limiter aux choses qui peuvent être observées et de formuler des lois concernant ces choses uniquement. Les béhavioristes rejettent toute référence à l’âme, à l’esprit ou à la conscience. Ils refusent de considérer les états mentaux et le fonctionnement intellectuel de l’humain comme des objets d’observation. Tout ce qui se situe à l’intérieur de la « boite noire » est inaccessible à toute étude objective. Les croyances, aspirations et motivations des individus font partie de fonctionnements internes qui n’ont pas à être abordés par la psychologie. Les observables objectifs apparaissant dans l’univers matériel constituent des comportements qui sont l’objet même de l’étude behavioriste. Le langage est lui-même considéré comme un comportement et analysé comme tel.

Le béhaviorisme stipule que l’individu est influencé par son environnement. Un événement défini de l’environnement appelé stimulus (S) produit, provoque ou déclenche la réponse (R). Cette réponse est un comportement. Les phénomènes psychologiques peuvent s’expliquer à partir de comportements réflexes de type S-R.

Le béhaviorisme s’intéresse à l’ensemble des phénomènes d’apprentissage et à la motivation. Il aura une influence considérable sur la pédagogie des langues.

Le Béhaviorisme et l’apprentissage des langues vivantes.

L’influence de Skinner.

Skinner est le psychologue béhavioriste dont le nom reste attaché à l’enseignement des langues. Il fait preuve d’un rigorisme excessif dans la défense de sa doctrine. Son apport théorique et expérimental est considérable. Il développe la théorie du conditionnement en se référant dans un premier temps aux travaux de Thordnike pour qui un apprentissage dépend de

  • la loi de l’exercice qui permet de renforcer les connexions entre la situation et la réponse ; la probabilité d’apparition de la réponse augmente proportionnellement au nombre d’essais effectués ;
  • la loi de l’effet due aux conséquences : une connexion est renforcée en cas de satisfaction, sinon elle est affaiblie.

Skinner développe la théorie du conditionnement opérant, déterminé non pas tant par le stimulus qui le précède que par celui qui le suit. Il réinterprète ainsi le principe de l’apprentissage par essais et erreurs et la loi de l’effet. Il insiste sur le renforcement qui doit suivre immédiatement toute réponse. Le renforcement s’effectue par la triade stimulus – réponse – corrigé. Gaonac’h, 1987, p. 16 observe:

L’ensemble des comportements acquis seront donc sous la double dépendance des stimulations (c’est-à-dire des circonstances de la production de tel événement), et des renforcements (c’est-à-dire des conséquences environnementales du comportement).

. Le renforcement est également dû aux paroles d’encouragement du professeur. La satisfaction que ressent l’élève après une bonne réponse le conduit à adapter son comportement à d’autres réponses possibles dans des contextes différents. La privation de récompense (de félicitation) en cas de réponse erronée l’amène à persévérer dans ses efforts pour être à nouveau gratifié par des encouragements. Nous ne sommes pas très éloignés d’un comportement conditionné rappelant les expériences de Pavlov sur les chiens !

Skinner ne s’intéresse qu’à l’aspect extérieur du comportement verbal.

  • Il rejette délibérément toute référence à la signification ou à l’intention du sujet parlant;
  • Il considère inutile de définir des unités linguistiques.

Toute production verbale constitue une unité dès lors qu’elle est sous le contrôle d’une variable (une situation engendre son apparition) et que la manipulation de cette variable en modifie les caractéristiques. Il s’ensuit qu’une réponse a une certaine probabilité d’apparition en fonction de la situation et de la fréquence avec laquelle elle a été suivie d’événements ayant valeur de renforcement . Des réponses simples peuvent être enchaînées en un tout unifié formant une signification fonctionnelle grâce aux connexions établies entre cet ensemble complexe et un ensemble de variables de situation.

Skinner a une conception très mécaniste de l’apprentissage. Il insiste sur la formation d’habitudes. Il s’est fait le champion de l’enseignement programmé. La matière enseignée se fait par courtes étapes. Chaque étape donne une nouvelle information et amène l’élève à produire une réponse. L’étape suivante indique à l’élève la réponse qu’il fallait fournir. Cette vérification correspond au renforcement. Pour que ce dernier soit efficace, l’élève est orienté pour fournir la bonne réponse. La progression est de ce fait très balisée et très lente. Les machines à enseigner n’ont que des avantages aux yeux de Skinner : chaque élève progresse à son propre rythme, sans être perturbé par le professeur ou les autres apprenants, la machine est beaucoup plus patiente que l’enseignant, peut être sollicitée de nombreuses fois, propose immuablement le même modèle, etc. On comprend que les exercices structuraux constituent un aspect fondamental de l’apprentissage d’une L2.

Les méthodes audio-orales – MAO.

Les MAO apparaissent aux États-Unis pendant la Deuxième Guerre mondiale. Les chefs de file de la linguistique distributionnelle et des professeurs de langues prennent part à leur élaboration. Ces méthodes déferlent en France dès la fin des années 50. Elles se fondent sur une étude contrastive entre la L1 et la L2 et prennent en compte les aspects liés à la culture. Elles sont dominées par les conceptions béhavioristes de l’apprentissage. Des théoriciens de renom (Fries, Lado, Palmer) ont érigé la pédagogie des langues vivantes que l’on retrouve dans les MAO sur la base d’un certain nombre de principes formant un véritable corps de doctrine. Nous les indiquons ci après en citant Girard (1974, p. 82-83) qui recense plusieurs points :

« 1. La langue parlée avant la langue écrite.

  1. Mémorisation des phrases fondamentales (basic sentences) de la conversation.
  2. Pattern practice pour créer des habitudes linguistiques.
  3. Acquisition du système des sons par la pratique.
  4. Limiter le contenu lexical, surtout au début.
  5. Enseignement des « problèmes » (c’est-à-dire « les unités et patterns qui font apparaître des différences structurales entre langue 1 et langue 2 »).
  6. Décalage entre oral et écrit, de telle sorte que l’écrit ne soit que la représentation graphique de ce qui a déjà été appris oralement.
  7. Prévoir une progression dans l’enseignement des différents patterns.
  8. Pratique de la langue plutôt que traduction.
  9. Enseigner une langue authentique, en choisissant la norme qui convient pour faciliter la communication.
  10. Favoriser la pratique plutôt que la théorie (en observant la proportion recommandée par FRIES : 85 % de pratique pour 15 % d’explication et de commentaire).
  11. Aider l’élève à formuler ses interventions (en les fractionnant, au besoin, en plusieurs éléments à faire pratiquer et mettre au point séparément).
  12. Vitesse et style de la langue authentique doivent caractériser le « produit fini » dans toute intervention d’élève.
  13. Renforcement immédiat, en indiquant tout de suite à l’élève si sa réponse était correcte, suivant les principes béhavioristes.
  14. Créer une attitude de sympathie pour la culture étrangère.
  15. Enseigner le contenu culturel de la langue étrangère tel qu’il apparaît dans le ou les pays où cette langue est parlée.
  16. Penser à enseigner efficacement plutôt qu’à plaire ou à distraire. (« Ce principe part du fait que les classes les plus amusantes ne sont pas toujours les plus efficaces. ») »

Le gestaltisme.

Présentation.

La théorie de la forme, souvent désignée par son appellation allemande gestaltthéorie, s’est développée en Allemagne entre les deux guerres.

Pour les tenants de ce courant de la psychologie, c’est l’esprit humain qui explore, structure et organise le monde. L’individu n’assimile pas les informations passivement ; il est actif et structure les situations en construisant des formes. Dans tout acte mental le sens émerge de la perception de la totalité de la situation. Il n’apparaît pas au contraire si l’on adopte une attitude atomisante consistant à décomposer et à additionner chacun des éléments constituant tel ou tel acte. Le tout l’emporte sur les parties. Par exemple, pour la musique, le son est immédiatement présent et s’offre à l’auditeur. On ne peut en dire autant des relations entre les notes ; celles ci doivent être recherchées.

On perçoit immédiatement l’analogie avec une suite parolière d’une L2 qui se présente comme un bloc phonique ; une analyse plus fine permet éventuellement d’en extraire certains phones. De nombreux travaux expérimentaux ont permis de mettre en lumière que des lois régissent l’organisation perceptive -lois de proximité, de ressemblance, de symétrie, de clôture qu’il est inutile de développer ici -. Elles permettent à l’individu de mettre graduellement en place les « bonnes » formes. Précisons que les travaux des gestaltistes ont très peu porté sur l’audition ; ils se sont beaucoup intéressés au domaine des illusions optico-géométriques.

Gestaltisme et méthodes audio-visuelles (MAV).

Le SGAV s’est particulièrement intéressé à la théorie de la forme. La conception structuro-globale de l’enseignement des L2 est incompatible avec l’application d’un béhaviorisme orthodoxe ; en outre, elle inclut la composante communication qui émergeait au début des années 60 et à laquelle les béhavioristes ne prêtaient aucun intérêt.

Les sgravistes se sont particulièrement intéressés aux phénomènes de perception. La perception est au cœur de la méthode verbo-tonale d’intégration phonétique qui fait partie intégrante de la méthodologie SGAV. R. Renard qui a beaucoup théorisé sur le problème donne une longue définition de la perception et conclut en observant : « Tout ceci souligne le caractère global de l’audition, la complexité du phénomène au niveau du cerveau, et, d’une manière générale, l’aspect incontrôlé, inconscient du processus perceptif » – c’est nous qui soulignons(R. Renard, 1979, p. 27).

Les travaux qu’ils mènent dans ce domaine amènent progressivement les partisans de l’approche sgaviste à envisager la perception comme étant une activité complexe combinant trois caractères : dynamique, productif et prédictif. Le sujet qui perçoit génère des activités cognitives qui sont :

  • globalisantes, car elles prennent en compte l’environnement comme système relationnel. Le langage, en tant que partie de l’environnement, est lui-même global de par ses multiples composantes en interaction naturelle : phonologique, prosodique, morphologique, syntaxique, sémantique…
  • anticipatrices, car l’environnement présente des régularités qui sont mieux reconnues au fur et à mesure que l’expérience du sujet se développe. Il s’appuie sur elles car il s’attend à leur apparition. Ces régularités engendrent des attentes perceptives contribuant à la mise en place d’un horizon d’attente. Elles constituent des indices ou des signaux forts favorisant les hypothèses faites par le sujet sur la nature et les propriétés de l’environnement. Elles lui permettent de catégoriser, i.e. de rattacher ces indices ou ces signaux à certaines classes d’objets.
  • structurantes, le sujet élaborant progressivement un nouveau système de formes.

En ce qui concerne les images, un travail très soigné a été mené afin de mettre les élèves en mesure de percevoir la situation en établissant le rapport diapositive-séquence sonore correspondante avec un minimum de risques d’interférences.

Le déclin du béhaviorisme et du gestaltisme.

Dès la fin des années 1950, les thèses béhavioristes relatives au langage sont vivement contestées.

  • L’ouvrage de Skinner Verbal Behavior (1957) est taillé en pièces par Chomsky ;
  • Le même Chomsky vient de jeter les bases d’une psycholinguistique cognitiviste et même mentaliste où est affirmée la prééminence des activités mentales ou centrales qui échappent par définition à l’analyse des comportementalistes ;
  • Des liens s’établissent avec les théories de Piaget ;
  • La psychologie est fortement influencée par la théorie de l’information. Ce qui se passe dans la « boîte noire » est de plus en plus souvent envisagé comme une sorte de traitement de l’information. Le langage n’échappe pas à ces analyses.

Le gestaltisme s’essouffle également. C’est ainsi par exemple que les travaux sur la perception menés en verbo-tonale ne permettent pas de savoir ce qui se passe dans la tête de l’élève, en d’autres termes comment il traite l’information auditive. De fait, les verbo-tonalistes considèrent la perception comme le résultat global d’une activité : c’est ce qui est donné à entendre à travers la production de l’élève. La connaissance des conditions de l’obtention de ce résultat paraît être considérée comme se dérobant à toute analyse. On peut voir dans cette attitude le reflet d’une carence de la Gestaltthéorie. Bonnet (In Dortier, 1999, p 176) écrit que

Certains psychologues, dont les gestaltistes, se sont moins intéressés aux mécanismes que l’organisme met en œuvre dans l’acte perceptif qu’aux apparences que prennent les choses dans notre perception […] Ce qu’ils décrivent est le produit fini des traitements perceptifs.

Les gestaltistes ont davantage anticipé qu’ils n’ont démontré certains résultats que le cognitivisme mettra en évidence.

Ceci sera développé dans des articles ultérieurs.

Le béhaviorisme en didactique des langues appartient-il au passé?

Question insidieuse. Quand on voit certaines activités couramment proposées dans des manuels comme des sites fle, force est de constater qu’ils recourent, sans peut-être même le savoir,  à des techniques pédagogiques directement inspirées de la psychologie du comportement. D’autres consignes ou présentations d’activités font irrésistiblement penser à des propositions pédagogiques antérieures aux années 60… Mais c’est là ouvrir un autre répertoire…

Éléments de bibliographie.

Dortier, J.-F. (coord.) Le cerveau et la pensée Paris, Éditions Sciences Humaines, 1999.

Gaonac’h, D. Théories d’apprentissage et acquisition d’une langue étrangère Paris, Crédif Hatier, coll. LAL, 1987

Gaonac’h, D. (coord.) Acquisition et utilisation d’une langue étrangère Le français dans le monde, série « recherches et applications », février-mars 1990

Girard, D. Linguistique appliquée et didactique des langues Paris, Armand Colin & Longman, 1972

Girard, D. Les langues vivantes Paris, Larousse, 1974

Renard, R. La méthodologie SGAV d’enseignement des langues. Une problématique de l’apprentissage de la parole Paris, Didier, 1976 ;

Renard, R.  Introduction à la méthode verbo-tonale de correction phonétique Paris Didier & Mons CIPA, 1978.

Renard, R. Variations sur la problématique SGAV. Essais de didactique des langues Paris Didier Érudition et Mons, CIPA, 1993. Le 2ème titre éclaire bien les relations entre SGAV et méthodologie verbo-tonale.

Source images: Pixabay

4 commentaires sur “Les courants psychologiques antérieurs au cognitivisme en fle”

      1. Monsieur le Professeur,
        Merci infiniment pour votre excellente synthèse. Puis-je me permettre de citer votre article? Et si oui, comment?
        Avec mes salutations respectueuses,
        Mihaela Toader, professeur en filière LEA à l’Université Babes-Bolyai de Cluj, Roumanie.

        1. Chère collègue,
          Merci pour votre commentaire. Afin de citer cet article,il convient d’indiquer l’auteur, l’année, le titre suivi de la mention « consulté à l’adresse »: indiquer le lien url.
          Bien à vous,
          mb

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