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La compréhension de l’énoncé: une vue d’ensemble

Cet article propose une vue d’ensemble des processus intervenant dans la compréhension d’un énoncé oral.

L’énoncé dans l’échange communicatif.

J’ai déjà abordé ce thème dans un précédent article où la figure reprise ci-dessous illustre le fait que le sens n’est pas une donnée stable ou présente a priori. Au contraire, il évolue et fluctue constamment tout le long de l’échange. Ceci provoque une modification réciproque de l’environnement cognitif des interactants qui doivent en permanence interpréter les indices fournis par l’interlocuteur et le contexte.

Dans cette perspective, un énoncé est un message contenant deux sortes d’informations bien distinctes et traitées différemment sur le plan psychologique :

  • une information de surface constituant la forme du message et pouvant être décrite objectivement en se fondant sur les structures syntaxiques et grammaticales ;
  • une information sémantique, véhiculée par la précédente, et transportant du sens.

Il est essentiel d’avoir présent à l’esprit que le sens n’est en aucune façon donné par l’énoncé ; il doit être construit par le sujet écoutant. Le sens est toujours une interprétation de l’énoncé. Le problème qui se pose est dû a fait que les énoncés sont riches de sens linguistique mais ils ne donnent qu’une indication ambiguë et toujours incomplète du sens voulu par le locuteur : « le sens linguistique sous-détermine le vouloir-dire du locuteur » écrit Sperber.[litetooltip targetid= »litetooltip_1464613082181″ location= »top » opacity= »1″ backcolor= »#E54C3C » textcolor= »#ffffff » textalign= »center » margin= »5″ padding= »10″ trigger= »hover »]
D. Sperber la communication et le sens p. 301-314 In Le Cerveau, le Langage, le Sens Université de tous les savoirs (volume 5) Paris, Odile Jacob, 2002. Nous nous inspirons de cet auteur dans la suite de ce paragraphe.
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Le décodage du sens linguistique n’est qu’un aspect de la compréhension. Il se produit toujours quelque chose de plus. Le processus d’inférence permet à l’auditeur d’inférer le sens voulu par le locuteur en fonction du sens linguistique ainsi que du contexte. Une inférence est définie par D. Sperber (ibid., p. 305) comme un processus qui part de prémisses et aboutit à une conclusion qui peut fonctionner de façon consciente mais le plus souvent opère de façon automatique et inconsciente. Le contexte ne se réduit pas à la situation d’énonciation (contexte immédiat) ; il fait également intervenir des connaissances d’arrière-plan, des connaissances générales, des connaissances culturelles inscrites dans la mémoire déclarative. Le contexte et les connaissances qu’il mobilise (active) permettent à l’auditeur de se projeter en avant lors du processus d’écoute, autrement dit de générer des anticipations sur la forme du message.

Les processus de compréhension.

Je les aborde de façon très généraliste tels qu’ils sont décrits selon deux modèles différents[litetooltip targetid= »litetooltip_1464614084927″ location= »top » opacity= »1″ backcolor= »#E54C3C » textcolor= »#ffffff » textalign= »center » margin= »5″ padding= »10″ trigger= »hover »]
Je présente ces deux modèles en suivant de très près l’exposé de M.-J. Gremmo & H. Holec La compréhension orale : un processus et un comportement p. 30-40 In Gaonac’h (dir.), 1990 FDM hors série, février-mars 1990.
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Le modèle sémasiologique.

Ce modèle part de la forme vers le sens. Il reflète une conception modulariste du traitement de l’information. Il comporte plusieurs étapes.

  • phase de discrimination : l’auditeurs isole et identifie les sons constituant la trame sonore du message ;
  • phase de segmentation : Il délimite les mots, les syntagmes et les phrases que ces sons représentent ;
  • phase d’interprétation : Il associe un sens à ces mots, syntagmes et phrases;
  • phase de synthèse : il accède à la signification globale du message en «additionnant» les sens des mots, syntagmes et phrases.

C’est donc la perception des formes qui est valorisée dans ce modèle :

  • un signifiant non segmenté ne peut être interprété et laisse un vide de sens ;
  • un signifiant mal reconnu peut conduire à un non-sens ou à un contresens.

L’auditeur accède au sens et le construit de façon linéaire, au fur et à mesure du déroulement du message et de l’arrivée des informations successives contenues dans le message. Même si ce modèle considère que l’individu fonctionne un peu comme un ordinateur (il « charge » et « enregistre » les données au fur et à mesure de leur apparition), ce ne veut pas dire » pour autant que l’être humain est passif. Il intervient activement lors des phases successives pour reconnaître et identifier des formes auxquelles il attribue un sens.

Le modèle sémasiologique ne peut toutefois expliquer certains phénomènes courants tels que :

  • comment se fait-il que nous puissions comprendre un énoncé grammaticalement incorrect ;
  • comment se fait-il que nous puissions comprendre un énoncé dont un mot ou un membre de phrase nous a échappé, à cause d’un bruit pas exemple ?

Le modèle onomasiologique.

Dans ce modèle, les processus de compréhension vont du sens vers les formes. Ce modèle est d’inspiration connexionniste. Toute une série d’informations sont traitées en parallèle à différents niveaux. Il s’ensuit qu’elles sont traitées à la fois simultanément et successivement. Ceci peut être difficile à comprendre. L’explication est donnée par l’existence de deux modes dans le traitement temporel de l’information. L’exégèse de J.-P. Tassin[litetooltip targetid= »litetooltip_1464614609938″ location= »top » opacity= »1″ backcolor= »#E54C3C » textcolor= »#ffffff » textalign= »center » margin= »5″ padding= »10″ trigger= »hover »]
J.-P. Tassin Qu’est-ce que l’intelligence ? p. 30-33 In Pour la Science n° spécial L’intelligence, Décembre 1998.
[/litetooltip] permet d’éclairer notre propos.

« L’intervention du cortex préfrontal, une aire cérébrale particulièrement développée chez l’homme, modifie notablement le traitement de l’information. Cette structure intervient dans l’organisation temporelle du comportement. Le cortex préfrontal est un élément essentiel de la mémoire dite à court terme, le rassemblement des éléments nécessaires à la réalisation d’une tâche et à l’élimination des interférences, internes et externes, susceptibles de rompre les enchaînements comportementaux. En d’autres termes, le cortex préfrontal a la propriété fondamentale (et peut-être unique dans le système nerveux central) de maintenir une information active jusqu’à l’obtention d’une solution considérée comme satisfaisante. […].

« Cette étape essentielle autorise le maintien de l’information, son analyse, d’éventuelles modifications et son classement. Elle facilite des retours vers un stock d’informations déjà mémorisées, permet des comparaisons et des simplifications (seuls les éléments essentiels sont conservés); on peut imaginer et prévoir diverses situations. Cette étape est indispensable à la conceptualisation, notamment à l’abstraction, à la symbolisation et à l’anticipation. […].

« Le traitement des informations dans le système nerveux central se ferait selon deux modes qui se différencient, notamment, par leur vitesse : un traitement rapide, analogique, auquel nous n’avons pas accès, et un traitement plus lent cognitif, qui, parce que nous avons conscience des informations qu’il traite, semble être caractéristique du fonctionnement du cerveau humain.

« Chez l’adulte, au cours de la veille, les deux modes, analogique et cognitif, sont en oscillation permanente. C’est par ces deux modes que le système nerveux central perçoit les informations, leur donne un sens et les mémorise. Selon cette hypothèse, l’intelligence serait l’aptitude d’un animal ou d’une personne à utiliser les capacités de ces deux modes de traitement. Elle dépendrait de trois critères :

  • la vitesse et la quantité d’informations qui peuvent être traitées en mode analogique ;
  • le temps pendant lequel le mode cognitif peut se maintenir ;
  • les conditions qui contrôlent les oscillations entre le mode analogique et le mode cognitif » (J.-P. Tassin, 1998, p. 31-33).

Le schéma suivant emprunté à la phonéticienne E. Lhote[litetooltip targetid= »litetooltip_1464615554350″ location= »top » opacity= »1″ backcolor= »#E54C3C » textcolor= »#ffffff » textalign= »center » margin= »5″ padding= »10″ trigger= »hover »]
É. Lhote et al. La fin intemporelle des fins de groupe rythmique : point d’ancrage de l’écoute du français Bulletin d’Audiophonologie 1986, vol. 2, n° 4, p. 341-356.
[/litetooltip] devrait également faciliter la suite de l’exposé.

Dans une situation d’écoute, l’auditeur mobilise son expérience, ses connaissances et a des attentes (en fonction du thème de la conversation, de ce qu’il sait de son interlocuteur, des circonstances de la rencontre). Ces attentes induisent un certain degré de prédictibilité. Certains thèmes sont susceptibles d’être abordés, et pas d’autres ; ces thèmes peuvent être développés sous un certain angle, et pas sous d’autres. E. Lhote commente 3 fonctions qui permettent le traitement des informations entre la mémoire de travail et la mémoire à long terme.

  • La fonction d’ancrage

Ce sont des points facilement accessibles qui permettent à l’auditeur de s’ancrer, de se positionner. La fonction d’ancrage s’effectue à l’arrêt. Cette pause est nécessaire car l’auditeur doit consulter l’information acquise qui se trouve dans sa mémoire à long terme. Les points résultant de la fonction d’ancrage sont des acquis provisoires qui permettent à l’auditeur de produire des hypothèses qui seront, ou non, remises en question par la fonction de repérage.

  • La fonction de repérage

Elle complète l’information de la fonction d’ancrage grâce à des explorations rapides et nombreuses (scanning) qui vont permettre à l’auditeur de retenir des hypothèses qui seront comparées à ses attentes perceptives, ses connaissances linguistiques et son horizon d’attente. Cette fonction permet d’élaborer des hypothèses perceptives et/ou linguistiques. L’auditeur revient ensuite à la fonction de repérage et c’est la rencontre de ces deux forces qui engendre la troisième fonction.

  • La fonction de déclenchement

Le déclenchement est le résultat de toutes les forces qui s’exercent dans le système de traitement de l’auditeur à un moment donné : celles provenant de son écoute orientée, celles qui sont exercées de façon simultanée par les fonctions d’ancrage et de repérage. Leur conjugaison donne naissance à ce que Lhote appelle le « Produit fini », càd à la compréhension plus ou moins réussie de l’énoncé.

Ces explications et la vision du schéma précédent doivent permettre une lecture plus aisée de l’argumentation de Gremmo & Holec (1990) à qui nous nous référons à nouveau pour la suite de notre propos.

1) L’auditeur établit des hypothèses sur le contenu du message

  • en se fondant sur ses connaissances générales et ses connaissances circonstancielles en relation avec la situation de communication en cours : qui est l’interlocuteur, que lui vent-il, quels sont ses buts… dont il dispose (connaissances générales et spécifiques sur la situation de communication dans laquelle le message lui parvient : qui s’adresse à qui, avec quelles intentons probables, où, quand),
  • et sur les informations qu’il tire de ce message au fur et à mesure de son déroulement.

Ces hypothèses sémantiques s’établissent à différents niveaux : elles anticipent la signification du message (ce dont il est question) :

  • au niveau global de la totalité du message. Elles sont alors sont imprécises et restent floues,
  • au niveau plus restreint des diverses unités de sens qui constituent l’architecture sémantique d’un message. Elles sont représentées «en surface» par un ensemble d’unités formelles telles que le tour de parole, l’énoncé, la proposition, le groupe de mots, le mot).

Ces hypothèses sémantiques sont associées à des «attentes» formelles concernant les formes linguistiques que prendra le contenu sémantique (les représentations de surface mentionnées en supra).

2) Parallèlement, l’auditeur établit des hypothèses formelles fondées sur ses connaissances des structures des signifiants de la langue au fur et à mesure que le message est entendu :

  • structures phonématiques des signifiants lexicaux (séquences de sons possibles/impossibles, degré de probabilité des séquences possibles : en français, par exemple, la suite de consonnes k.s.t.r. est impossible à l’initiale mais possible en position Intervocalique, comme dans «extravagant»),
  • structures syntaxiques (en français, par exemple, la séquence sujet + objet + verbe est impossible si l’objet n’est pas un pronom; l’article signale le début d’un groupe nominal), etc…

3) Ensuite, l’auditeur procède à la vérification de ses hypothèses. Cette vérification n’est pas due à des processus de discrimination linéaires et exhaustifs de la suite sonore. Elle s’opère par une prise d’indices permettant de confirmer ou d’infirmer ses attentes formelles et sémantiques, sollicitées ici de manière pratiquement simultanée.

L’opération de prise d’indices s’effectue en fonction

  • des hypothèses formelles qui balisent en quelque sorte le champ de la signification ;qui jouent un rôle de projecteur utilisé pour éclairer le terrain de la vérification
  • aux multiples redondances d’indices que présente le contenu du message par rapport aux hypothèses à vérifier.

Et les auteurs d’ajouter : « Si les hypothèses ne sont ni confirmées ni infirmées, l’auditeur suspend sa construction de signification en stockant les informations recueillies jusque là, pour la reprendre, de manière différée, lorsque d’autres indices, apportés par les redondances de grande envergure (répétitions par exemple), l’y aideront;

Si les hypothèses sont infirmées, soit il reprend la procédure à zéro en établissant de nouvelles hypothèses, éventuellement sur la base d’Informations recueillies en appliquant la procédure sémasiologique (précédemment décrite) à la partie du texte conservée en mémoire à court terme, soit il abandonne purement et simplement la construction de signification localement entreprise » (Gremmo & Holec, 1990, Ibid.).

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