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Les voyelles en français

Cette présentation des voyelles est établie sur la base de leurs critères articulatoires, acoustiques et perceptifs. L’article comprend deux grandes parties. D’abord un rapide exposé des principes de classement dans les 3 domaines de la Phonétique. Ensuite, un commentaire destiné aux professeurs de fle. Le propos se veut pratique en fournissant quelques points de repère ainsi que des éléments de réponse à des questions que les enseignants se posent souvent. Et que les apprenants abordent parfois… Des liens vers des ressources en ligne permettent d’approfondir certains faits exposés.

Les voyelles: critères de classement.

Je vais rapidement exposer certains points dont le rappel sera utile pour traiter les problèmes concrets évoqués dans la 2ème partie de cet article.

Phonétique articulatoire.

 Le classement des voyelles s’effectue en considérant 4 traits

  • la zone d’articulation correspond à la position de la masse de la langue sur l’axe horizontal. Si elle est placée à l’avant de la bouche la voyelle est dite antérieure; si elle occupe une position vers l’arrière de la cavité buccale, la voyelle est postérieure;
  • l’aperture est la distance entre l’articulateur supérieur (le palais) et l’articulateur inférieur (la langue). Il y a 4 degrés d’aperture théoriques en français;
  • l’opposition de nasalité distinguant les voyelles orales des nasales. Pour les 1ères, l’air s’échappe uniquement par la bouche la luette étant relevée; pour les 2èmes, l’air s’écoule par le chenal buccal et les fosses nasales en raison de l’abaissement de la luette;
  • le caractère labial ou non des voyelles. Certaines sont produites avec les lèvres étirées; d’autres sont articulées avec un arrondissement et une projection des lèvres en avant: elles sont dites labialisées ou arrondies.

 Le diaporama suivant illustre pas-à-pas ce qui précède:

 Phonétique acoustique.

 Le classement acoustique des voyelles s’effectue sur la base de leurs deux premiers formants F1 et F2 dont les valeurs normalisées sont reportés sur un espace bi-planaire:
  • celle de F1 est projetée sur l’axe des abscisses;
  • celle de F2 est reportée sur l’axe des ordonnées.
Il en résulte une figure rappelant un classement établi sur des bases articulatoires comme illustré ci-dessous:
Voyelles: corrélations physiologico-acoustiques
Voyelles: corrélations physiologico-acoustiques
 Ceci n’est gère étonnant si on considère que les valeurs du 1er formant sont liées aux déplacements de la langue sur un axe avant-arrière et celles du 2ème formant dépendent de ses mouvements sur l’axe vertical. Les gestes linguaux rapides modifient la forme et le volume des résonateurs selon le principe général
  • grand volume, petit orifice –> son grave
  • petit volume, grand orifice  –> son aigu
(cf. aussi cet article). Le professer doit retenir que
  • F1 est lié au mode d’articulation; sa valeur augmente au fur et à mesure que la langue avance;
  • F2 dépend de l’aperture; sa valeur augmente avec l’écartement de la langue du palais.

Une vision « articulatoire « (figure de gauche) donne l’illusion dangereuse de voyelles imperturbablement réalisées toujours de la même façon, avec un lieu d’articulation et une aperture immuables correspondant strictement aux schémas que l’on trouve dans tout manuel de phonétique. Dans le même temps, on lit parfois que les voyelles ont besoin de place pour se réaliser. Sur la figure de droite un point localise la position de la voyelle cible dans l’espace vocalique. Il représente le phonème, c’est-à-dire à la représentation mentale (abstraite) qu’un locuteur a des sons de sa langue maternelle. Le phonème correspond à une sorte de prototype assurant l’identification correcte de tous les sons partageant avec lui certains traits. La figure inclut chaque phonème  à l’intérieur d’une zone représentée en pointillés, les espaces voisins se recouvrant partiellement. Dans la réalité de la parole, la production d’une voyelle est fonction de nombreux facteurs parmi lesquels ceux liés au contexte phonémique et aux éléments prosodiques. Conséquence: on ne prononce jamais deux fois le même son. Les voyelles d’un même locuteur présentent toujours des différences en termes de mesures acoustiques. Mais si on les place sur l’espace F1 – F2, on observe qu’elles forment un nuage aux alentours du point de référence. Ce qui permet de mettre en évidence des aires de dispersion pour chaque voyelle. Nous allons y revenir.

D’autres schémas illustrant la corrélation naturelle entre faits articulatoires et correspondants acoustiques sont disponibles sur ce mur virtuel.

L’excellent site de P. Martin (univ. Laval) décrit chaque son du français selon ses corrélats articulatoires et acoustiques en le présentant de différentes manières dont: schémas articulatoires, radiographiques, spectrogrammes (répartition des formants)… J’invite les personnes curieuses à lui rendre visite pour la partie consacrée aux voyelles.

Phonétique perceptive.

En phonétique corrective, les voyelles sont qualifiées de claires ou de sombres: les fréquences élevées sont mises en valeur pour les 1ères, les fréquences graves sont valorisées pour les 2èmes. Ce qui permet de diagnostiquer maintes erreurs comme expliqué ici. L’axe clair/sombre est indiqué dans la figure en supra par la flèche où C+ signifie « plus clair » et C- « plus sombre ». Pourquoi ces termes abscons au lieu de « grave » ou « aigu »? Tout simplement parce que

  • « grave » et « aigu » renvoient à des sons que l’on peut objectiver par des mesures précises avec les appareils adéquats : fréquence, ainsi que intensité et durée;
  • « clair » et « sombre » sont beaucoup plus impressifs. Ils qualifient la façon subjective dont chacun perçoit les sons de parole, ici les voyelles. La perception auditive est différente d’un individu à l’autre. On peut établir une analogie avec la perception visuelle: les nuances sans fin de la gamme des couleurs sur une roue chromatique; un tel voit cette nuance de couleur plus sombre là où son voisin la trouve plus claire, etc.

Un site récent propose un classement animé, visuel et sonore, des voyelles françaises. vous vous y rendez en cliquant sur ce lien.

Quelques questions « pédagogiques » concernant les voyelles.

 A propos de la labialisation.

L’arrondissement et la projection en avant des lèvres sont particulièrement marquées en français et se manifestent plus visiblement que dans d’autres langues possédant des voyelles labiales. Sur le plan acoustique, le jeu labial crée un résonateur supplémentaire dont la présence augmente le volume de la cavité. C’est pour cela que les antérieures arrondies [y] et [ø] sont C- par rapport aux antérieures étirées [i], [e] alors que la langue ne bouge théoriquement pas et occupe une position identique pour tous ces sons.

Les voyelles antérieures arrondies du français présentent une singularité. Normalement, un jeu musculaire précis intervient: l’arrondissement et la projection labiales engendrent un recul de la racine de la langue. Ceci ne se produit pas en français. Malgré le phénomène marqué de labialisation la langue reste massée à l’avant de la bouche. Ceci explique le principe de l’exercice classique d’opposition [i] vs [y] où il est demandé à l’élève d’étirer et arrondir les lèvres tout en veillant à ne pas bouger sa langue. Plus facile à dire qu’à faire… Surtout si le prof lui conseille en plus de surveiller la position de la langue avec un stylo placé dans la bouche.

Beaucoup d’apprenants étrangers prononcent les voyelles [u], [o] avec les lèvres en position « neutre », ni étirées ni arrondies, tant  dans leur langue maternelle qu’en français. Et pourtant nous entendons bien [u] et [o]. Ces voyelles sont des postérieures considérées comme labialisées dans beaucoup de langues.

Le principe des aires de dispersion (cf. plus haut figure de droite) permet d’éclaircir ce mystère. Une voyelle a besoin d’espace. Donc, plusieurs configurations articulatoires peuvent réaliser le son désiré, l’important étant qu’il soit produit -en principe- dans les limites de sa zone de dispersion. Ceci rejoint le principe de compensation que j’ai déjà évoqué: un même résultat acoustique peut être généré par différentes configurations des résonateurs grâce au contrôle exercé par la boucle audio-phonatoire: si il y a un problème à tel endroit, je compense ailleurs. Ce qui explique qu’il m’est possible de parler en étant intelligible la bouche pleine, ce qui entrave fortement la réalisation des programmes articulatoires canoniques. Ceci a pour conséquence de rappeler deux choses:

  • on parle aussi avec son oreille;
  • on dispose d’une certaine latitude sur le plan articulatoire.

 Remarque phonético-culturelle: il est parfois conseillé dans des manuels de bien montrer la différence entre étirées et arrondies; le professeur prononce alternativement [i] – [y] en exagérant la mimique labiale. Cela ne marche pas toujours. Et des élèves manifestent de la gêne ou même une certaine agressivité. Dans certaines cultures,

  • la bouche est la zone la plus privée du visage et il est inconvenant d’y faire explicitement référence;
  • la labialisation fait que le français est parfois considéré comme une langue féminine (même Troubetzkoy l’a écrit). Certains apprenants n’apprécient absolument pas cette gymnastique labiale à moins qu’ils ne se mettent à ricaner.

Comment corriger une voyelle antérieure arrondie mal réalisée: un exemple détaillé de correction par la méthode verbo-tonale est détaillé dans cet article.

Le problème des voyelles É, EU, O.

Elles sont notées ainsi par P. Léon qui les appelle voyelles à double timbre. Il s’agit des voyelles d’aperture moyenne

mi-fermée e ø o
mi-ouverte ɛ œ ɔ

Elle sont source de conflits. Leurs réalisations

  • peuvent varier selon les régions;
  • dépendent parfois d’une « norme » implantée par l’école.

Dans le sud de la France, la répartition de timbre se fait selon la règle:

  • syllabe fermée –> voyelle ouverte –> ɛ œ ɔ
  • syllabe ouverte –> voyelle fermée –> e ø o

Il n’en va pas de même partout. Voyons quelques exemples. Les mots entrecôte, rose sont prononcés avec [o] là où le Toulousain produit [ɔ]. Ce dernier ne fait pas non plus la différence entre jeune et jeûne qu’il prononce toujours avec [œ] alors que certains distinguent [ʒœn] et [ʒøn]. Où encore il produit [o] pour pomme et paume là où d’autres Français différencient (pɔm] et [pom].

Le Toulousain prononce de la même façon chanterai et chanterais alors que l’école apprend à distinguer le futur [e] du conditionnel [ɛ]. Avec une règle pourtant simple: AI -> [e], AIS, AIT, AIENT -> [ɛ].

L’école oublie que

  • l’orthographe est figée, ses règles sont gravées dans le marbre. La prononciation évolue constamment, elle change d’une génération à l’autre, il est impossible de l’emprisonner dans des règles;
  • le système phonologique des voyelles du français n’est pas uniforme sur l’ensemble de l’Hexagone. Selon les régions, il connaît différents stades d’évolution (diachronie). Les voyelles d’aperture moyenne constituent un maillon faible du système, d’où ces  divergences[litetooltip targetid= »litetooltip_1431891776774″ location= »top » opacity= »1″ backcolor= »#E54C3C » textcolor= »#ffffff » textalign= »center » margin= »3″ padding= »5″ trigger= »hoverable »]
    Une très belle et très vivante explication est proposée par Henriette Walter dans son magnifique livre Le français dans tous les sens paru chez Robert Laffont en 1988, disponible en édition de poche. Cet ouvrage fait partie de la culture de tout prof de fle qui se respecte, à lire sans modération!!!
    [/litetooltip].

 Que doit retenir le professeur de fle?

  • en syllabe inaccentuée où elles sont réalisés brièvement, on observe une tendance à la fermeture ; ce sont les timbres [e], [ø], [o] qui sont favorisés;
  • en syllabe accentuée, il faut être attentif au fait que

                 ◊ seuls les timbres [o] et [ø] sont possibles en syllabe ouverte (terminée par une voyelle prononcée : chapeau, manteau, barjot, mieux, veux, vieux, heureux…

                    ◊  [E] peut être réalisé [e] ou [ɛ] : thé [te] ou [tɛ], jamais [ʒame] ou [ʒamɛ], etc.

Quant aux mots jeune vs jeûne, pomme vs paume etc., il s’agit de doublets sémantiques appartenant à des listes fermées (on connaît précisément le nombre d’unités les composant). Ces oppositions sont vivantes dans certaines régions, absentes dans d’autres. Faut-il les enseigner? C’est une affaire de bon sens. Si le professeur

  • exerce dans un endroit où l’opposition joue, il est préférable qu’il y soit attentif;
  • est originaire d’un endroit où ces doublets font sens, en est dépositaire mais enseigne là où ces oppositions n’ont pas cours

                 ◊ il peut très bien ne pas insister, ce n’est pas cela qui est fondamental dans la prononciation du français;

              ◊ il est inutile de surcharger la mémoire des élèves en leur faisant ingurgiter des règles de soit-disant correspondance phonie -graphie où les différents signes diacritiques représentés par les accents grave, aigu, circonflexe indiquent des tentatives de l’orthographe pour noter graphiquement tel timbre à tel moment de l’évolution de la langue.

De toute façon, le contexte -situationnel, linguistique- permet de pratiquement toujours lever l’ambiguïté. Donc, inutile de faire une montagne d’un point de prononciation somme toute secondaire.[litetooltip targetid= »litetooltip_1431891930115″ location= »top » opacity= »1″ backcolor= »#E54C3C » textcolor= »#ffffff » textalign= »center » margin= »3″ padding= »5″ trigger= »hover »]
Je suis conscient de m’être fait des ennemis. C’est normal. Je viens d’aborder un problème lié à la façon de prononcer. Cela ne laisse personne indifférent. Je consacrerai un article à la norme en phonétique. De même je fais preuve d’un ethnocentrisme affligeant en ne considérant que la situation hexagonale. Mais envisager les différentes variétés dans l’espace francophone aurait largement dépassé les limites de ce billet..
[/litetooltip]

« Les grandes douleurs sont muettes ». Et quid du [ə], ce grand instable?

Un problème récurrent est posé par le E

  • noté [ə];
  • appelé muet, instable, caduc, féminin;
  • susceptible d’apparaître ou non dans la chaine sonore.

Pour ce dernier point, cela dépend de la région, une fois de plus. Et même là où il est systématiquement réalisé -sud de la France-  [ə] peut s’amuïr en fonction du débit (si rapide) et du style de parole (si relevé). C’est pour cela que je préfère l’appeler instable plutôt que muet.

Pour l’enseignant de fle, il est important de conserver à l’esprit ce qu’engendre la disparition du [ə]. Soit l’exemple de Ce matin je porterai une chemise propre transcrit d’abord avec [ə], ensuite sans (je sépare chaque syllabe afin de faciliter la lecture):

a) [sə ma tɛ̃ ʒə pɔʁ tə ʁe y nə ʃə mi zə pʁɔ pʁə]

b) [sma tɛ̃ ʃpɔʁ tʁe yn ʃmis pʁɔp]

 On observe que

  •  a) comprend 14 syllabes, b) en compte 6;
  • la segmentation syllabique est différente;
  • le tempo est lié au nombre de syllabes: il faut moins de temps pour prononcer b); le rythme est forcément plus ralenti pour a);
  • a) conserve l’intégrité phonétique de toutes les consonnes; on note des changements dans b) -indiqués en rouge- en raison des règles d’assimilation consonantique. On peut également supposer que l’amuïssement de [ə] favorise la disparition de [ʁ] en finale absolue.

Conséquences pour le prof. Dans l’exemple a), la présence de [ə]

  •  autorise un débit plus ralenti. Cela pourrait théoriquement faciliter la prise d’information par l’apprenant qui dispose de davantage de temps pour traiter les données en mémoire de travail;
  • facilite le découpage de la séquence en syllabation ouverte, ce qui constitue une tendance fondamentale du français (environ 80% des syllabes sont ouvertes c’est-à-dire terminées par une voyelle prononcée);
  • est une aide au processus d’intelligibilité à l’oral en assurant une meilleure reconnaissance des mots composant la suite sonore;
  • permet de ne pas provoquer de changement de timbre de certains consonnes. Ceci peut être un atout dans la découverte de la lecture: moins de distorsions et ce n’est pas un luxe vu l’opacité de la relation phonie – graphie en français (due aux diverses règles orthographiques, soit dit en passant).

Par conséquent, le [ə] peut constituer une aide pédagogique pour certains élèves et certaines activités.

 Deux autres maillons faibles du système vocalique.

Simplement pour rappel mais il importe de le garder en mémoire:

  • l’opposition entre le /a/ antérieur et le /ɑ/ postérieur a pratiquement disparu au profit du /a/ antérieur. il est donc inutile de continuer à enseigner ces deux timbres;
  • parmi les nasales, l’opposition /ɛ̃/ – /œ̃/ perd du terrain, /ɛ̃/ s’imposant de façon manifeste. L’enseignant doit donc enseigner les 3 nasales /ɛ̃/ /ɑ̃/ /ɔ̃/  et peut faire l’impasse sur /œ̃/. Le bon sens prévaut ici encore. Là où l’opposition est encore vivante, il peut être utile de permettre aux apprenants de distinguer les deux timbres. Tout en sachant que /ɛ̃/ s’impose de plus en plus dans les jeunes générations.

Comment corriger les voyelles nasales qui constituent une source permanente de difficultés pour de nombreux étudiants étrangers. La réponse se trouve ICI.

Pour conclure provisoirement…

Le système vocalique maximal du français est très riche; il comprend 16 unités.

En fait, 10 unités sont nécessaires pour assurer l’intercompréhension entre tous les francophones. Ce sont elles que le professeur doit prioritairement enseigner:

orales nasales orales nasales orales nasales
i y u
E Ø O
a  ɑ̃   ɔ̃

voyelles_nuage

 

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